Terry Pratchett : Déraillé
L'auteur
Terry Pratchett (1948-2015) est un écrivain anglais extrêmement prolifique, notamment connu pour la série d'heroic-fantasy Les annales du Disque-monde (réunissant à elle-seule plus d'une quarantaine de tomes). Ses écrits se caractérisent généralement par un grand sens de l'humour et un maniement habile de l'absurde, et tendent à détourner les archétypes littéraires (notamment ceux de l'heroic-fantasy) pour se livrer à une satire de notre société. Il a été anobli par la reine d'Angleterre en 2008, ce qui est l'équivalent de la Légion d'Honneur française.
Il a notamment écrit Coup de tabac, De bons présages (avec Neil Gaiman) et Le dernier héros.
L'oeuvre
Simple précision avant d'entamer la critique : il s'agit d'un livre lu en anglais, certaines traductions peuvent donc différer au niveau des noms propres.
Déraillé (2013) est le trente-cinquième roman de la série d'heroic fantasy Les annales du Disque-monde, série que j'aime beaucoup et dont j'ai déjà lu une majeure partie des autres volumes (ce qui expliquera sans doutes quelques éléments de ma critique).
L'univers du Disque-monde (pour plus de précisions, lisez ces articles), en constante évolution depuis sa création, voit arriver dans ce nouvel opus la machine à vapeur.
Dick Simnel fait partie de ces génies inventifs et extraordinairement compétents, sortis du néant, qui à eux seuls font avancer l'Histoire de quelques siècles. Pour se protéger de la jungle des escrocs, brigands, truands et autres sympathiques personnages qui peuplent Ankh-Morpork, la plus grande ville du Disque-monde, Simnel est épaulé par Moite von Lipwig, escroc assermenté, et Harry King, aussi appelé le roi de la pisse, qui voit en la machine à vapeur une bonne oportunité de faire sa richesse autrement que par le traitement des matières fécales.
L'histoire raconte donc la création de la première ligne de chemin de fer, puis d'une autre, puis la transformation d'un certain nombre d'aspects de la vie du peuple, à commencer par les nombreux villages qui se créent en marge des lignes, habités de vendeurs, taverniers, et autres professions qui bénéficient du transport de personnes et de marchandises.
Mais les bénéfices du chemin de fer ne s'arrêtent pas là : il permettra aussi de ramener en Uberwald le Petit Roi des nains (qui s'avèrera être, en réalité, une Petite Reine) que des extrêmistes religieux conservateurs mettent en péril. Occasion pour Pratchett de critiquer le conservatisme religieux, abondamment tourné en ridicule dans le roman.
Déraillé place en confrontation divers acteurs fictifs qui trouvent leurs équivalents dans notre monde : les industriels favorables au progrès, les gobelins, anciens esclaves, qui obtiennent petit à petit des droits et commencent à être reconnus comme personnes à part entière, des conservateurs (religieux) passéistes et réfractaires à toute avancée technologique ou sociale... Encore une fois, la perception de Terry Prachett de notre société est surprenante et perspicace.
Le chemin de fer est une invention technologique comme une autre, qui peut être comparée à toutes celles que nous avons connues et connaîtrons ; l'intrigue permet surtout, à mon avis, de justifier une morale de tolérance et de compréhension, d'humanisme et de progrès : laissons les nains être des naines, qui prennent soin de leur barbe comme de leurs sourcils !
Il faut tout de même faire quelques remarques à propos du livre. Pour commencer, notons - sans y apporter de jugement de valeur - que l'écriture de Pratchett est très fidèle à elle-même. C'est à dire qu'ayant lu une trentaine de ses romans, malheureusement, je m'attendais à la majorité des situations, traits d'esprits ainsi qu'à la conclusion finale. Ceci dit, puisque ce sont des procédés qui marchent extrêmement bien, cette réflexion n'intéressera que les acharnés du Disque-monde.
Ensuite, le thème du chemin de fer est vastement utilisé, dans les films, les romans ou les bandes dessinées, et un certain nombre de clichés, ou situations, auraient pu être attendus. Un tronçon de bois en travers des rails ou un braquage, par exemple, revisités à la manière de Pratchett, auraient pu être très intéressants à lire !
Mis à part ces quelques remarques, Déraillé est un excellent roman, qui continue de manière intéressante le Disque-monde en apportant un élément moderne dans un univers d'heroic fantasy, bousculant au passage les critères du genre.
Citations
"Rien n'est immuable. On donne un peu par ci, on reprend par là, et tout d'un coup la balance du monde est sur ses roues de nouveau ; c'est à cela que sert la politique."
Il aimait le fait que si vous arrivez à faire rire votre client, vous aviez son argent dans votre poche.
"Peu importe à quel point nous dédaignons le mot "politique", un de ses aspects les plus utiles est qu'il parvient à stopper les bains de sang."
Tout est de la magie quand on ne sait pas ce que c'est.
"La seule chose que je fais à présent, mes amis, c'est de vous présenter quelque chose d'important : la vérité. Vous savez... Cette chose qui reste quand tous les mensonges ont été nettoyés."