Roland Barthes : Mythologies
Un nouveau regard sur le monde
L'auteur
Roland Barthes est un critique littéraire et sémiologue français, né en 1915 et mort en 1980 à Paris. Sa mort accidentelle devant le collège de France est d'ailleurs reprise sous le spectre de l'assassinat dans le livre La septième fonction du langage (2015) de Laurent Binet. Roland Barthes est surtout fameux pour avoir écrit Le degré zéro de l'écriture (1953), Mythologies (1957) et La chambre claire (1980).
Lire le monde
Les Mythologies de Roland Barthes ont marqué leur temps. Cette lecture aussi pertinente que percutante de la société des années 1950 révèle un nombre incroyable de mythes, que Barthes explique avec une grande pédagogie - qui peut d'ailleurs parfois tendre à l'excès. "Le mythe est un langage", une "parole définie par intention" et "dépolitisée". Pour être plus clair, le mythe correspond au sens véhiculé par un ensemble de symboles, face auxquels nous sommes confrontés tous les jours : lire les mythes, c'est voir une publicité dans la rue, déterminer ce qu'elle dit et, surtout, ce qu'elle ne dit pas mais signifie, la signification étant le message passé sous silence et qui est pourtant l'essentiel de ce que la publicité veut communiquer.
Lire les mythes, c'est donc avant tout faire de la sémiologie, cette science qui étudie les signes, développée par Saussure au début du XXème siècle. Quelque chose que nous faisons tous, mais que Roland Barthes maîtrise avec une grande aisance, poussant l'analyse bien plus loin que le jugement primaire auquel nous aurions tendance à nous arrêter ; je vais donc essayer, dans cet article, plutôt que de vous résumer l'ensemble des divers exercices mythologiques auxquels le sémiologue se livre, de vous expliquer aussi simplement que possible comment analyser, vous-même, les mythes que vous affrontez chaque jour (lire le très bon article dans Libé à ce sujet).
Le système sémiologique se décompose en deux parties, chacune formé de trois composantes. Le premier niveau correspond à une lecture sans réflexion critique de l'information qui nous est fournie ; la seconde, qui constitue une attitude de mythologue, consiste à avoir une réflexion critique du mythe.
Vous trouverez dans ce tableau les principaux composants du mythe. Ne paniquez pas, ils sont expliqués immédiatement après !
Pour toi, lecteur
Voici un exemple (je reprends ici celui fourni par Barthes) pour rendre tout ce jargon un peu plus concret. Imaginez une phrase dans un manuel de latin : quia ego nominor leo. Tout le monde l'aura compris, ceci se traduit par : car moi je m'appelle lion (oui oui). Il s'agit ici de son sens, le troisième membre du premier système sémiologique. Ce dernier est composé du signifiant (le langage, latin dans ce cas) et du signifié (la phrase en elle-même). Mais, dans la mesure où cette phrase se trouve dans un livre de grammaire, elle signifie : je suis un exemple de grammaire qui va servir à expliquer une règle. Le premier système sémiologique, "je m'appelle lion", s'élargit pour en accueillir un second : il accepte un second signifié, que l'on appelera concept, "je suis un exemple de grammaire", et une signification globale, qui résulte de la combinaison du signifiant et du signifié (je suis un exemple de grammaire, tiré dans un livre de latin).
Là où le mythe prend toute son ampleur, c'est dans son aspect sélectif, lorsqu'il interagit avec le sujet (vous, lecteur) : puisque cette phrase est un exemple de grammaire (avant d'être utilisée par Barthes comme exemple de sémiologie), et que je comprends ce fait, elle révèle un certain nombre de choses sur le lecteur que je suis. Elle révèle que je suis quelqu'un qui a quelques bases en latin (ou qui a profité de la science de Google Traductions pour comprendre le latin, dans ce cas que je connais Google Traduction, que j'ai le moyen et la présence d'esprit de m'en servir) : toute une pléthore de données sociologiques (époque, milieu social, zone géographique, intérêts, etc) peuvent être inférées d'un tel constat.
Si je ne comprends pas que la phrase est un exemple de latin, dans ce cas, le mythe ne s'adresse pas à moi : élément central à retenir, le mythe est sélectif. Le mythe ne cache rien ni ne révèle rien : il présente l'information telle qu'elle est, à savoir que je m'appelle lion ; mais on peut en retirer des informations qu'il a déformées et il est le moyen par lesquelles elles seront communiquées.
Que voyez-vous dans cette affiche ?
Je vous propose à présent un petit exercice de sémiologie tiré de mon observation en tant qu'usager régulier du métro parisien. Là, je m'aventure en terre inconnue, ces remarques sont donc quelque peu plus sujettes à caution (et à discussion sur le forum !).
Comme vous pouvez le voir, cette publicité utilise le style visuel du meme, un standard qui a gagné en popularité ces quelques dernières années et que tous les jeunes internautes reconnaîtront en un clin d'oeil : légende (plutôt amusante, ou qui essaie de l'être) et police/typographie ne laissent pas la place au doute.
Du côté du premier système sémiologique, c'est très simple : il s'agit d'une affiche publicitaire (le signifiant), qui fait donc une promotion ; le produit vanté est un gérant d'épargne (le signifié) ; le tout vante une banque qui représente "une solution simple" (le sens). Voilà ce que comprendront ceux à qui ne s'adresse pas le mythe, ceux à qui la référence échappe par manque d'analogie. La publicité ne les cible pas, le mythe les exclut donc volontairement.
Le deuxième système sémiologique est bien plus intéressant à étudier, comme toujours : le signifiant, (la forme), c'est qu'il s'agit d'une publicité pour une banque qui représente une solution simple pour gérer ses finances. Le signifié (le concept), c'est le fait même que cette banque utilise pour sa publicité un meme. Alors, que peut-on découvrir en creusant un peu du côté du signe de ce second système sémiologique (la signification) ?
Pour commencer, cette banque s'adresse spécialement aux jeunes : elle maîtrise les techniques de marketing qui sauront leur parler et a choisi de cibler sa campagne vers eux. On peut donc supposer que la banque aura nombre de formules intéressantes pour les étudiants, du genre de celles où on s'endette sur une quarantaine d'années en s'engageant à fournir la moitié de son salaire jusqu'à la fin de sa vie pour rembourser un prêt qui nous servira à payer une vétuste chambre de bonne dans laquelle on n'aura pas beaucoup de temps pour dormir en raison du temps que prennent la fac et le travail qui va avec (parce qu'il faut commencer à rembourser le prêt dès maintenant).
Mais, si l'on creuse encore plus loin, on peut aussi inférer que la banque maîtrise cette technique, donc qu'elle est intelligente : les conseillers le seront probablement aussi, et sauront nous aider et nous guider. Avec un peu de chance, ce seront des gars sympa qui passent leur journée à surfer sur 9gag tandis que leur stock-option prennent de la valeur d'une manière miraculeuse.
En d'autres termes, la signification de cette publicité est : venez chez nous, nous sommes faits pour vous, compétents et sympa. Maintenant que vous le savez, vous ne vous ferez plus avoir.