Robert Charles Wilson : Spin

01/11/2018

La fin du monde, en toute douceur

L'auteur

 Robert Charles Wilson est un écrivain américain né en 1953 ; il est l'un des principaux auteurs actuels de science-fiction canadiens. Il s'est notamment fait repérer avec Darwinia (1998) et la saga de Spin (2005, prix Hugo). Son écriture se caractérise par une attention particulière portée aux personnages, qui évoluent dans une situation d'une simplicité apparente et souvent trompeuse. 

La nuit où les étoiles ont disparu

 La Terre n'a plus qu'une cinquantaine d'années devant elle. Que va-t-il se passer ? Va-t-on sombrer dans la barbarie, tout détruire dans l'anarchie et réduire les villes à feu et à sang ? Va-t-il y avoir des massifs mouvements d'exode vers les derniers édens sur Terre ? Rien de tout cela. C'est le pari de Robert Charles Wilson : si l'on vous annonçait aujourd'hui que vous n'avez plus que quelques années à vivre, votre première réaction serait d'être stupéfait ; la seconde serait de reprendre le cours normal de votre existence.

 Tout a commencé la nuit où les étoiles ont disparu. Le ciel est soudain devenu opaque. Le soleil était toujours là, mais les scientifiques se sont vite rendu compte qu'il ne s'agissait que d'une réplique. Par qui, pourquoi ? Nouvelle découverte : le temps s'écoule plus vite en dehors de l'autre côté de la Terre, qu'à l'intérieur de son atmosphère. La planète est capturée dans une membrane, à l'extérieur de laquelle le temps va bien plus vite qu'à l'intérieur. Conséquence : d'ici quelques années, des millions d'années se seront écoulées. Bientôt, des milliards. Bientôt, le soleil aura grossi, roussi, vieilli, et, bientôt, il sera devenu trop massif pour la Terre. Alors, une chaleur intenable condamnera tout le monde à une mort plus ou moins lente, assurément pénible.

Mais l'annonce ne provoque pas tant d'émoi, finalement. Chacun reprend sa vie ; la société continue, jusqu'à la prochaine échéance. C'est là l'idée brillante du roman : loin des poncifs qui représentent une foule désinhibée qui sombre dans la sauvagerie, Wilson décrit une déliquescence plus lente, plus insidieuse, plus intelligente. Quelques détails montrent que la société s'effondre - les grandes routes deviennent moins sûres à cause du banditisme qui se développe, un certain nombre de sectes voient le jour - mais la société (américaine) continue dans sa routine, son jeu électoral, ses conflits d'intérêts, ses groupes d'influences. Ah, tout de même, il arrive un point où on nous donne des flammes et de la mort : on ne saurait y couper. Mais si les incendies se déclarent en ville, pour Wilson, ce n'est pas à cause de pyromanes qui n'attendent plus leur heure : les premières flammes sont la cause indirecte d'un renoncement bien plus sage, bien plus réel :

J'ai appris, déjà, que nous avions bien fait d'éviter les grandes villes, devenues zones sinistrées... non à cause du pillage et de la violence (il y en avait eu étonnamment peu) mais de l'effondrement catastrophique des infrastructures. L'ascension du soleil rouge avait tellement ressemblé à la mort de la Terre, prédite depuis si longtemps, que beaucoup de gens étaient tout simplement restés chez eux pour mourir avec leur famille, si bien que les centres urbains se sont retrouvés avec des effectifs minimaux dans la police et les pompiers, et un manque cruel de personnel dans les hôpitaux. La minorité ayant cherché à mourir par l'intermédiaire d'armes à feu ou de doses excessives d'alcool, de cocaïne, d'Oxy-Contin ou d'amphétamines, avait involontairement provoqué les problèmes les plus immédiats en laissant allumé leur four à gaz, en perdant la conscience au volant ou en lâchant leur cigarette au moment de rendre l'âme. Lorsque la moquette commençait à fumer ou que les rideaux s'embrasaient, personne n'appelait les secours, et dans bien des cas, il n'y avait personne pour répondre à ces appels. Les incendies domestiques s'étaient rapidement étendus à tous les quartiers. (pp 526-527)

 Il est difficile, à l'heure d'écrire cet article, de ne pas dresser un parallèle avec les nombreux signaux d'alarmes donnés quant à notre avenir qui sera lui aussi de plus en plus chaud. Spin s'inscrit dans cette problématique, et c'est sur notre apathie qu'il propose une réflexion : nous sommes face à une échéance qui n'est pas datée, pas tout à fait certaine mais presque, et nous n'avons, finalement, pas de réaction immédiate. Comme je le répète souvent, la science fiction fait ici oeuvre de reflet de notre société actuelle en allant chercher dans le futur des éléments de notre propre société pour les exacerber et les manipuler pour voir quelles pourront être leurs conséquences. 

Des personnages denses, une écriture fluide

 Nombreux sont ceux qui critiquent la science fiction comme une littérature pas assez littéraire, aux personnages insignifiants et aux intrigues invraisemblables. Ces critiques feraient bien de lire Spin.

 L'un des points forts du roman est son décalage apparent entre forme et fond, qui est en réalité, avec une lecture plus fine, une adéquation parfaite entre forme et fond. La fin du monde est proche, et l'auteur nous raconte l'histoire d'un gars relativement lambda, Tyler Dupree, depuis son enfance où il se lie d'amitié avec Jason et Diane Lawson, jusqu'à un point dans le futur relativement proche de cette fin du monde supposée. Le récit est teinté d'une mélancolie qu'on retrouverait dans La recherche du temps perdu, comme une promenade dans un passé idéalisé en quête de sens. C'est là toute la force et tout l'intérêt du livre : la fin du monde n'a que de peu de conséquences, et elle se vit à l'échelle individuelle, elle n'existe que par de minimes manifestations sur le cours de notre vie. En choisissant de faire de la vie de Tyler Dupree le sujet principal de son livre, Wilson donne ainsi une profondeur à chacun de ses personnages et une crédibilité à la situation qui sert de toile de fond à l'intrigue.

 Par ailleurs, la langue de Wilson est à la fois épurée et travaillée, la sobriété le cédant par moments à une envolée lyrique maîtrisée, le rythme des phrases naturel et le ton toujours très juste. Le tout est émaillé de quelques réflexions pertinentes ("C'était un pacte avec le diable, il avait échangé l'humilité contre la certitude"), sans virer dans le style emphatique. 

  Idée originale, personnages intéressants et écriture agréable, Spin propose une réflexion intéressante sur les débouchés possibles de cette discipline grandissante qu'est la collapsologie, le tout avec les yeux tournés vers les étoiles. 

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