Gustave Flaubert : Madame Bovary

11/12/2017

Une Don Quichotte à la française

L'auteur

 Gustave Flaubert est un romancier français né en 1821, la même année que Fyodor Dostoïevski et Charles Baudelaire, et mort en 1880, peu après eux. De la même manière que ses deux illustres contemporains, Flaubert a marqué l'histoire de la littérature, notamment au travers d'une révolution formelle qu'il apporte dans ses oeuvres, abandonnant le romantisme pour écrire des romans réalistes. Flaubert se distingue particulièrement par une écriture ciselée, toujours à la recherche du mot juste, et une ironie mordante qui n'a aucune pitié pour la bêtise humaine. Ses oeuvres majeures sont Madame Bovary (1856), Salammbô (1862) L'éducation sentimentale (1869), et les Trois contes (1877). 

 L'ennui d'une vie de province

 Madame Bovary, c'est Emma. D'une beauté remarquable, la jeune femme éprouve dans toute sa plénitude l'ennui, non pas celui que Baudelaire a défini comme "une absence totale de désir" mais bien plutôt celui d'avoir un certain paquet de désirs et de n'en pouvoir rien faire. Mais remarquez, le titre indique "Madame" Bovary, et pas Emma ; pourquoi ? C'est C'est assez simple : ce qui nous intéresse, c'est qu'Emma cherche à assouvir un certain type de désirs, et qu'elle ne le puisse puisqu'elle est déjà mariée - en somme, que ce soit un roman d'adultère.

 Car Charles n'est pas un mauvais bougre : il est aimant, passionné par sa femme, aux petits soins ; en réalité, il lui est si soumis qu'il en devient ridicule. Alors qu'Emma a souvent des caractéristiques assez masculines (elle prend des décisions, n'a peur de rien, elle est un personnage fort), Charles a souvent des attitudes féminines (timide et malhabile, il commence par se marier avec une femme qui a deux fois son âge dans l'espoir d'y gagner une plus grande liberté). Alors, si l'adultère est, d'office, condamnable sur le plan sociétal (il s'agit d'une société différente de la nôtre, gardons-le en tête, engoncée dans ses préjugés et ses principes chrétiens), il le devient aussi sur le plan moral.

 La description de la société de ces deux provinces est d'un réalisme palpitant, et certains passages, comme par exemple la scène du mariage des Bovary, peut presque faire office de témoignage sociologique, contant avec minutie les moeurs (présentées comme méprisables) de l'époque. De même, le premier pas vers l'adultère est fait lors d'une foire paysanne, et le discours du séducteur, repris dans tout ce qu'il a de clichés et de lourdeur, est ponctué de mugissements et des rodomontades des paysans. Flaubert est d'une cruauté absolue avec ses personnages : tous sont ridicules, que ce soit le pharmacien (qui n'a même pas pu être médecin) abruti par sa science, les bonnes femmes odieuses et sans intérêt, Charles, ou Emma elle-même.

 Il semble bien qu'il n'y a rien à faire, dans ces villes de province, à part regarder les gens et chercher quelles couleuvres leur faire avaler, quels ragots aller colporter. Et pour sortir de cet ennui, il faut bien trouver à s'occuper.

 Cela a d'ailleurs été noté et commenté : dans sa correspondance, Flaubert a décrit ainsi son projet : "Ce que j'aimerais faire, c'est un livre sur rien." Rien, c'est ce que l'on peut faire dans les villes de province, mais c'est aussi, visiblement, ce qu'il y a dans la tête des protagonistes du roman.

Une Don Quichotte française

 Pour expliquer le titre de ce paragraphe, rappelons que toute l'histoire de Don Quichotte est une parabole pour nous expliquer qu'il ne faut pas faire la confusion entre la fiction et la réalité, que les livres ne sont pas des fragments de réalité, et enfin que la frontière entre les mondes n'est pas poreuse - notez malgré tout que la pensée de Cervantès est plus complexe et ne mérite pas d'être massacrée comme je suis en train de le faire.

 Emma Bovary, du temps de son séjour au couvent, puis de retour chez son père, puis dans les deux demeures du couple Bovary, occupe son temps en lisant des romans d'amour. Et s'éprend de ce monde enchanté aux amants valeureux qui sentent bon la rose et qui consacrent leurs journées à pleurer l'amour impossible à partir de la deuxième page du roman ; dans des pages jouissives, Flaubert s'en prend avec une violence piquante à la tradition romantique à laquelle il tourne le dos. Et on le soupçonne, d'ailleurs, que ce soit la raison pour laquelle les adultères que commet Emma sont promis à l'échec.

 Le premier, avec le noblaillon du coin, Rodolphe, est en réalité assez ennuyant, et on s'en rend vite compte : Rodolphe lui aussi, d'ailleurs, s'ennuie. Il endosse le rôle de Don Juan pour arriver à ses fins, mais les rencontres au clair de lune ponctuées par le chant des hiboux culminent tellement dans le cliché que Flaubert nous fait sentir le peu d'intérêt qui, au moment le plus palpitant de la vie d'Emma, sous-tend le peu d'intérêt de son existence.

 Le second adultère est plus fantasque, certes, et donne lieu à cette fameuse scène de la calèche que beaucoup ont décrit comme le moment le plus intense de la littérature française. Personnellement, bien qu'y ayant été sensible, je passe mon tour pour cette qualification.

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Une mort tout en souffrance

 Malgré tout, et sans doute à cause de cette calèche, Madame Bovary a beaucoup choqué à sa publication, et Flaubert a été traîné devant un tribunal. Il en est ressorti vainqueur, alléguant qu'il ne faisait pas preuve d'immoralité mais, qu'au contraire, il montrait que l'adultère, c'est mal. Et preuve à l'appui : son personnage, Emma Bovary, meurt dans d'atroces souffrances, puni pour ses péchés.

 Si cette explication est à mettre (au moins un peu) en doute, il faut tout de même s'attarder un peu sur cette mort d'Emma qui n'en finit pas. Après avoir été ruinée (Emma est une des premières acheteuses compulsives documentées par la littérature, qui achète tout ce qu'elle peut pour compenser sa frustration), Emma, acculée, en vient à aller chercher de l'arsenic chez le pharmacien, et s'en enfiler une gorgée.

 Pourquoi un poison, lent à agir et douloureux de surcroît ? Flaubert voulait visiblement qu'Emma souffre ; et c'est le cas, et le lecteur aussi. La mort d'Emma est un moment terrible, dans lequel on reçoit de plein fouet les ondes de douleur que Flaubert, fils de médecin, connaissait bien. Peut-être était-ce, en effet, car l'histoire d'Emma ne pouvait pas finir bien à cause de sa conduite immorale.

 Ou peut-être, et ce n'est d'ailleurs pas contradictoire, est-ce simplement que la haine de Flaubert pour la bêtise, qui s'attaquait aussi à ses propres personnages, exigeait plutôt que la sottise de l'héroïne soit punie.

Pour creuser un peu

 Si vous voulez en apprendre un peu plus sur Madame Bovary, je vous recommande le dossier assez bien réalisé de l'édition Folio Plus Classiques, qui vous permet d'entrer en profondeur sans avoir à vous frotter à des textes universitaires.

 L'excellent Gemma Bovery, d'Anne Fontaine, avec Fabrice Luchini (qui joue, comme toujours, le personnage de Fabrice Luchini), et la touchante Gemma Arterton. Et, en attendant, je vous recommande cette vidéo du regretté Jean Rochefort qui résume Madame Bovary dans Les bolosses des belles lettres. 

Citations

Tout ce qui l'entourait immédiatement, campagne ennuyeuse, petits bourgeois imbéciles, médiocrité de l'existence, lui semblait une exception dans le monde, un hasard particulier où elle se trouvait prise, tandis qu'au delà s'étendait à perte de vue l'immense pays des félicités et des passions. Elle confondait, dans son désir, les sensualités du luxe avec les joies du coeur, l'élégance des habitudes et les délicatesses du sentiment.

Mais elle, sa vie était froide comme un grenier dont la lucarne est au nord, et l'ennui, araignée silencieuse filait sa toile dans l'ombre à tous les coins de son cœur.

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