Glen Cook : Les annales de la Compagnie noire
Une aventure épique, à lire du côté des bad guys
Livre lu en version originale, certaines traductions et remarques stylistiques peuvent donc ne pas être pertinentes pour la version française.
L'auteur
Glen Cook est un écrivain américain né en 1944. Il est surtout célèbre pour son cycle de dark-fantasy Les annales de la Compagnie noire (commencé en 1984 et toujours en cours avec une dizaine de tomes à son actif), mais il a également écrit Garett Détecteur Privé (1987) et Dread Empire (1984).
Une belle bande de soudards
Je vais ici me concentrer sur le premier cycle des annales, également appelé les Livres du Nord, qui inclut La Compagnie noire (1984), Le château noir (1984) et La Rose blanche (1985). Rassurez-vous d'emblée : il n'y aura aucun spoiler.
La Compagnie noire est une troupe de mercenaires aux origines relativement troubles, malgré le soin qui est apporté depuis sa création (plus de quatre siècles auparavant) à la rédaction de ses annales, une tâche si importante que l'annaliste est une des figures majeures de la compagnie. Croaker est donc celui qui nous relate, dans ces trois romans, le destin et les péripéties de cette bande de soudards qui, dans l'affrontement entre le bien et le mal qui divise le royaume, semble combattre aux côtés du mal. Pas par conviction, en tout cas pas foncièrement, mais simplement parce que ce sont des mercenaires et qu'en cette occasion, le plus offrant était La Dame, une enchanteresse dont la beauté est apparemment au diapason de sa cruauté.
Bien sûr, le cycle n'est pas construit autour d'un manichéisme sommaire : la Compagnie n'est pas une troupe de pilleurs, violeurs et voleurs (même si ça leur arrive), c'est avant tout un groupe de soldats dans l'âme qui cherchent un salaire, une famille, et, surtout, qui essaient de survivre de ce monde de brutes (dont ils sont, reconnaissons-le, un bon exemple). Survivre, car la Compagnie se fait vieille, ses officiers aussi, et le sang coule mais peine à se renouveler, surtout lorsque les frères meurent de plus en plus vite, à mesure que la situation devient de pire en pire. De leur côté, les soldats rebelles commettent autant, voire plus, d'exactions que ceux de la Dame, et, finalement, les grands perdants du duel sont bel et bien les paysans du Royaume - qui ne se soucient pas de l'idéologie du tyran qui viendra les exploiter.
Différence et répétition
On a dit du cycle qu'il avait renouvelé la fantaisie ; je n'ai pas une connaissance assez exhaustive pour corroborer ces dires, mais il est vrai que le style de Cook coupe complètement avec les standards instaurés par Tolkien dans les années 1950. D'un point de vue stylistique, la narration est menée avec une concision et un pragmatisme qui peut d'abord en rebuter certains mais qui, après réflexion, correspond magnifiquement aux personnages qu'elle sert à décrire. Les protagonistes sont des soldats, des hommes durs qui ont tué et vu mourir, et qui expriment tout leur amour pour leurs frères par un vague hochement de tête ou, dans le cas le plus extrême, par une tape sur l'épaule. La narration extrêmement dépouillée permet donc de pénétrer au mieux la mentalité de cette troupe : pas le temps de lambiner à décrire un physique, un lieu, un sentiment ; soit le lecteur comprend, et il continue sa lecture, soit il est perdu, et on l'abandonne. Marche ou crève. Comme dans la Compagnie.
Cependant, il faut signaler un autre point de rupture majeur avec l'influence de Tolkien, qui, lui, n'est pas sans défaut : il s'agit de la construction de l'univers. Du fait de cette concision brute, et du peu de description, on met un certain temps à se faire une image précise du monde dans lequel se déroule l'histoire (d'autant plus que toutes les éditions du cycle ne proposent pas une carte du lieu, contrairement à 99% des livres de fantaisie). Mais on a surtout l'impression que, à l'inverse d'un Tolkien ou d'un Damasio, l'histoire ne se déroule pas dans un univers préétabli : l'environnement a un peu un goût de décor en carton pâte, pas vraiment crédible, avec des monstres sortis des coulisses pour les besoins du moment, des deus ex machina qui se pointent sans trop savoir eux-même ce qu'ils font là. Alors qu'une partie du plaisir de la fantaisie consiste (selon moi) à découvrir un nouveau monde et sa manière de fonctionner, le lecteur doit ici accepter de délaisser quelque peu cette dimension, au profit d'une emphase plus marquée sur l'action et les personnage.
Dans une interview, Glen Cook avouait d'ailleurs que son temps de recherche pour préparer ses ouvrages variait de "pas beaucoup à pas du tout". (Retrouvez-là ici en français, et là en anglais).
Par ailleurs, signalons que dans les deuxième et troisième volumes, plusieurs histoires sont relatées en même temps (ce qui est une technique assez courante) mais finissent par se rejoindre malgré une différence géographique et, surtout, temporelle, de manière astucieuse et intéressante.
Des personnages trop efficaces ?
Les personnages sont tous assez haut en couleur, assez attachants et certains sont relativement originaux : Croaker, pour commencer par lui, est un narrateur particulièrement sympathique, c'est un docteur-annaliste qui essaie toujours de faire de son mieux et aime profondément ses compagnons. One-Eye et Goblin, les deux sorciers qui se montrent leur amour en essayant sans cesse de s'entre tuer au moyen des sorts les plus vicieux qui soient, sont aux antipodes de Silent, qui a fait voeu de silence (nul ne sait pourquoi, et la Compagnie n'enquête jamais sur le passé de ses frères) et est l'incarnation de l'efficacité.
Cependant, certains personnages sont tout simplement trop : Raven, le mystérieux rôdeur, est une sorte de copie (archétypée) d'Aragorn, ténébreux, efficace, mystérieux et surtout au top du hype, il possède tous les attributs pour faire un personnage "stylé" ; de même, Tracker (qui n'apparaît que dans le troisième volume), qui est mélange d'arriéré mental avec des éclairs de génie qui permettent de faire avancer les enquêtes et de machine à se battre, ressemble trop à un joker tiré par Cook pour relancer l'histoire.
Enfin, dernier petit commentaire qui n'a rien de capital mais qui me semble suffisamment intéressant pour mériter un peu d'attention : le cycle entier attache une grande importance à l'écrit, du support de lecture (nous lisons les Annales, n'oublions pas) aux parchemins qui renferment le secret du nom des sorciers, et donc le moyen de les anéantir. Dans un monde à moitié ravagé toutes les décennies, il est amusant de voir comment des armées entières sont déployées pour mettre la main sur un petit bout de papier dont on a perdu trace.
Pour résumer, Les annales de la Compagnie noire est un cycle très intéressant du point de vue stylistique ; l'action est très bien menée et propose moults renversements palpitants, et compense largement le fait que l'univers laisse parfois un peu à désirer. Si vous ne vous êtes jamais faits la main à la dark-fantasy, comme c'était mon cas jusqu'alors, c'est une excellente saga pour commencer à explorer le genre !
Citations
Prenons les petits enfants. A de rares exceptions près, ils sont mignons, adorables, de vrais amours, aussi doux que du miel battu au beurre. Alors d'où viennent tous les êtres malfaisants ?
C'est la dernière fois qu'on se replie, a promis le capitaine. Il ne voulait pas qualifier la manœuvre de retraite, mais il n'avait pas le culot de parler de progression vers l'arrière, d'action rétrograde et autre charabia.
Le Mal est relatif, annaliste. On ne peut pas lui mettre d'étiquette. On ne peut ni le toucher, ni le goûter, ni l'entailler avec une épée. Le Mal dépend de quel côté on se trouve, de quel côté on pointe son doigt accusateur.
Retour à la Compagnie. Au boulot. Aux années qui défilent. Aux présentes Annales. A la peur. Trente-sept ans avant le prochain passage de la comète. Je ne vivrai jamais aussi longtemps. Si?
Le Tonk
Les soldats de la Compagnie noire passent leurs journées d'attente à jouer au Tonk, un jeu de carte apparemment inventé par Glen Cook. J'ai essayé d'y jouer une fois, et je n'ai absolument rien compris. Les règles : https://fr.wikipedia.org/wiki/Tonk_(jeu) .