Entretien - Alexis Michalik : "Intéresser les fans de théâtre autant que ceux qui n'y vont jamais"
Discussion avec le metteur en scène et réalisateur de "Edmond"
Le metteur en scène Alexis Michalik réalise une adaptation de sa pièce Edmond (Molières 2017) au cinéma. À 35 ans, il s'est déjà forgé une place solide dans le milieu du théâtre, avec des succès comme Le porteur d'histoires (2012), Le cercle des illusionistes (2014), Edmond (2016) et le sublime Intra Muros (2017). Dans Edmond, il raconte la genèse douloureuse du chef d'oeuvre d'Edmond Rostand, Cyrano de Bergerac, pour y intéresser le grand public. Entretien par messages vocaux.
Commençons par un peu de contexte. Tu as débuté ta carrière par des rôles pour la télévision. N'était-ce que pour financer les pièces, ou déjà par intérêt pour l'image ?
De base, je suis comédien. Je jouais uniquement par passion - je n'avais pas du tout l'idée de mettre en scène ou de réaliser. Ce que j'aimais, c'était jouer, je jouais pour du théâtre, des séries télé, des téléfilms - tout ce que je trouvais. Avec cet argent, j'ai pu financer mes premiers spectacles à Avignon, c'est ainsi que ça a débuté. L'envie de jouer est toujours présente.
Edmond a d'abord été un scénario de cinéma avant de devenir une pièce de théâtre très appréciée. Quels changements ont-ils été nécessaires pour en faire une pièce ? Après cela, quels changements pour en faire, pour de bon cette fois-ci, un film ?
Il y a eu assez peu de changements. Quand j'ai adapté le scénario au théâtre, j'ai simplifié : je me suis rendu compte que la dernière partie méritait d'être recentrée sur le triangle amoureux et j'ai aussi rajouté de l'explication de Cyrano dans le texte. Mais j'ai principalement changé la fin, et j'ai créé des scènes supplémentaires aux personnages féminins pour leur donner plus de profondeur. Quand j'ai adapté le texte du théâtre au cinéma, j'ai changé assez peu de choses, si ce n'est quelques coupes pour rendre le texte un peu moins verbeux. La scène que j'ai changée est surtout celle à la brasserie "Chez Honoré". Je voulais que l'on comprenne mieux le personnage, et qu'on le découvre dans une bibliothèque au-dessus de son petit café.
Quelle est la différence d'approche entre le théâtre et le cinéma ? Le texte n'a que peu été adapté, d'après ce que tu déclarais dans une interview : le travail se fait-il alors plutôt sur le découpage des séquences, sur le rythme, qui est un élément caractéristique de tes pièces ?
La différence est qu'on ne filme pas dans l'ordre chronologique : on ne fait pas chaque scène du début à la fin. Par ailleurs, une fois qu'on a mis en boîte une scène, on n'y retourne pas - alors qu'au théâtre, on reprend en permanence. Filmer une scène dure deux heures, parfois plus, mais ensuite on passe à la scène suivante.
Par ailleurs, au théâtre, il faut que les acteurs se fassent entendre : même des scènes douces et romantiques doivent être portées. Au cinéma, il y a des micros, quelqu'un peut chuchoter et en même temps être très bien entendu par la salle, et inversement crier mais qu'on entende le cri de loin. On peut aussi jouer sur les différents niveaux de musique.
La manière dont on envisage une scène change également : au cinéma, on se demande comment la découper, comment la filmer, où poser la caméra ; au théâtre, on se demande comment mettre en scène pour que ce ne soit pas figé pour un public qui est assis à la même place pendant la représentation.
Parlons de rythme. Tu dis aimer beaucoup les films des années 50, et constates qu'aujourd'hui le montage s'accélère énormément. Après avoir accéléré le rythme au théâtre, quel est ton rapport au rythme, en terme de narration, pour l'adaptation cinématographique de Edmond ?
Il est sensiblement le même, je pense. Je voulais qu'il y ait un rythme soutenu pour Edmond au théâtre comme au cinéma. Autant la pièce, de par sa nature, s'adresse aux gens qui vont au théâtre voir ce spectacle, autant le film s'adresse à des spectateurs qui peut-être ne vont jamais au théâtre. Ces spectateurs-là, je ne voulais surtout pas les dégoûter du théâtre, mais plutôt leur donner envie d'y aller. Il fallait que le théâtre ne soit pas lié à l'ennui dans leur esprit, que le film ne leur donne pas cette image là. Il fallait donc garder le même rythme et la même énergie.
Tu professes un amour de l'histoire, de la littérature. Faire un film, aujourd'hui, sur une pièce de théâtre qui fait partie du canon de la littérature française, est-ce une manière d'intéresser le grand public à la littérature ?
Oui, même si je ne me sens pas armé d'une mission. Faire un film sur le théâtre et sur la littérature, sur les mots, sur la poésie, c'est essayer de donner envie.
Mais c'est surtout parce que c'est un film qui a vocation à être populaire que c'est le cas : si Edmond était un film qui n'était pas une comédie, qui était très austère et à petit budget, ça n'aurait pas eu le même impact. Ce que j'essaie surtout c'est de faire en sorte que ce film s'adresse aux gens qui sont déjà fans de littérature comme à ceux qui n'ont jamais lu Cyrano, qui n'ont jamais mis les pieds au théâtre et qui pourraient s'y intéresser en voyant le film.