Le cinéma fait-il de la propagande encore aujourd'hui ?

20/01/2017

Cet article est le résultat de recherches que j'ai réalisées pour mes études ; trouvant le sujet intéressant, j'avais envie de le faire partager.

Ou pourquoi ce sont toujours les américains qui sauvent le monde

 Propagande : "En général, toute institution qui a pour but la propagation d'une croyance religieuse. Par extension, toute association dont le but est de propager certaines opinions." Littré, 2017

 Le cinéma, c'est fantastique. Dans une salle obscure, installé sur un fauteuil confortable, on partage, contre une somme relativement modique (enfin, ça dépend où), un moment magique avec une centaine d'inconnus ; on y rit, on y pleure, on y frissonne et même, parfois, on y réfléchit. Toutefois, on peut parfois remarquer quelques ressemblances dans les thèmes des films proposés, ainsi que dans leur traitement, surtout lorsqu'il s'agit de blockbusters. Ces derniers sont les produits les plus contraints d'entre tous, puisqu'ils doivent répondre à une logique capitaliste et donc à des exigences de rentabilité. Les films sont donc une source d'investissements importants : si les Etats-Unis semblent à ce point envahir nos salles, c'est parce qu'ils sont les premiers investisseurs mondiaux (en 2009, 58% des investissements mondiaux dans le domaine du septième art étaient américain) [1].

 Pourquoi vouloir construire une hégémonie dans le domaine cinématographique ? Le cinéma peut-il, aujourd'hui, être considéré comme un instrument de propagande ? Je vais essayer de répondre à cette question en évitant, le plus possible, de tomber dans le complotisme et la paranoïa. 

La propagande comme arme de la démocratie

 Le linguiste, philosophe et anarchiste Noam Chomsky écrit : "La propagande est à la démocratie, ce que la violence est à l'état totalitaire". Commençons par essayer d'expliquer un peu cette phrase.

 Un des thèmes favoris (il admet lui-même volontiers que c'est une obsession) de l'excellent écrivain de science-fiction Alain Damasio est la manière dont s'exerce aujourd'hui le pouvoir des autorités politiques sur le peuple. Dans la conférence Société de contrôle et cinéma [2], il étudie 6 films d'anticipation (Blade Runner, 1984, Brazil, Robocop, Dark city et Matrix) pour mieux comprendre l'évolution de notre imaginaire collectif. Je pense en effet que la science-fiction est cruciale pour comprendre notre présent dans la mesure où elle est une projection dans le futur de ce qu'on pense être notre société actuelle : les valeurs que l'on partage implicitement aujourd'hui se trouvent exacerbées dans notre lendemain rêvé, et on peut ainsi mieux les analyser et s'en servir comme clef de lecture pour notre société contemporaine.

Alain Damasio montre ainsi comment l'on passe d'une société de la discipline (celle de 1984 et du Big Brother, et celle que décrit Foucault dans Surveiller et punir) à une société de contrôle, qu'il appelle Big Mother. Le contrôle se fait de manière plus douce, il joue sur l'envie plus que sur la peur, il déforme la représentation que l'on se fait de la réalité ; c'est une attaque bien plus insidieuse et pernicieuse que la propagande des années 1930 qui semble presque grotesque et risible à l'honnête homme du XXIème siècle, doté de suffisamment d'armes de réflexion et de cynisme pour y être insensible.

 D'après Damasio, la propagande d'aujourd'hui est bien plus implicite, bien plus dure à déceler ; et, d'après Chomsky, cette propagande (s'il y en a, cela reste à voir dans cet article) serait la nouvelle arme des démocraties. 

Tu l'as vu, mon soft power ?

 Les Etats-Unis, sur lesquels je vais me concentrer aujourd'hui, ont une production de film littéralement (ou plutôt cinématographiquement) abondante : en 2010, ils ont sorti pas moins de 754 longs métrages. Ils sont cependant seconds au classement mondial, derrière l'Inde et son Bollywood tentaculaire, qui a produit la même année plus de 1 000 longs métrages. Cependant, le cinéma américain s'exporte énormément, réalisant 63% de ses recettes sur le marché international, ce que peine à faire le cinéma de Bollywood.

Ces deux exemples montrent toutefois que le cinéma est devenu une industrie, avec les avantages et les défauts que cela représente : d'un côté, on gagne de beaux effets spéciaux, des films agréables à regarder et grandioses et des acteurs et actrices d'une beauté olympique (avouez-le, ça compte) ; de l'autre, ces mêmes films présentent souvent un manque d'originalité déplorable. Dans Mainstream [3], Frédéric Martel s'intéresse à la grande fabrique du mainstream et la manière dont la culture de masse est façonnée dans le monde ; on retire de ses enquêtes sur Hollywood l'impression que les studios sont des entreprises de fabrication d'un produit de consommation comme un autre, avec des exigences de rentabilité et de diffusion, et ont perdu toute vocation artistique.

Et, dans le flot de ces productions à grand budget, et donc à grands investissements, on ne compte plus les films de guerre. De par la subjectivité inhérente au cinéma, ils contribuent à donner une certaine représentation des Etats-Unis : pas besoin de vous dresser le tableau, on constate très bien par soi-même que les Etats-Unis sont systématiquement glorifiés, on voit toujours de braves soldats américains combattant, selon les époques, des vilains russes, des vilains chinois ou des vilains arabes, le tout pour protéger la démocratie et la paix (rappelez-vous que Big Brother disait : "La guerre c'est la paix"). La destruction de la statue de la statue de la liberté est devenu un topos si emblématique qu'aux quatre coins du monde, on interprète aujourd'hui cela comme une attaque contre la démocratie et la liberté.

Est-ce suffisant pour parler de propagande ? Non. Pas encore.

Il faut sauver le soldat Hollywood

Operation Hollywood, c'est le titre d'un documentaire (et webdocumentaire) Arte [4], qui s'intéresse aux très nombreuses interventions du Pentagone dans la production de films Hollywoodiens. Une section spéciale du Pentagone est dédiée aux rapports avec Hollywood : c'est la Film Liaison Unit, qui s'occupe de ce qu'un ancien membre interviewé appelle une "exploitation mutuelle". Le Pentagone ouvre aux studios des bases militaires, prête du matériel (avions, chars et armes, entre autres), prodigue des conseils, mais, en retour, réclame un droit de réserve sur le produit final.

David Hobb, le principal réalisateur du documentaire, donne ainsi l'exemple d'un script qui contenait une scène dans laquelle un soldat américain retire la dent en or d'un cadavre japonais ; le Pentagone a fait retirer la scène, arguant du fait que c'était "antimarine". Ce qui est marrant, dans l'histoire, c'est que des archives vidéos montrent que ce genre de pratique avait bel et bien lieu, dans les faits. Dans le documentaire, un représentant du Pentagone dit d'ailleurs, sans embarras : "Nous pensons que l'armée est une institution profitable à la grandeur des états-unis. Donc si un film vient suggérer l'inverse, c'est normal que nous l'interdisions."

Par ailleurs, une étude de cas a été menée par le réalisateur Jean Louis Comolli, qui déclare que la rhétorique des films de Daesh est la même que celle de Hollywood [5] : dans les deux cas, des ennemis (les "méchants") sont tués presque sans contexte, dans des plans qui montrent de l'action pour l'action, avec une perte de valeur intrinsèque de la vie humaine. Gardons tout de même les pieds sur terre, Daesh, eux, montrent des vrais morts, et Hollywood n'en est pas encore arrivé là - Wang, le roman de Pierre Bordage, n'est pour l'instant encore qu'une dystopie. Cependant, si on peut sans problème penser que les films de Daesh sont des films de propagande, il semble, au vu de ces quelques réflexions, légitime de penser que ceux d'Hollywood en sont tout autant. 

 Et puisqu'il faut bien retomber sur nos pates, vous constaterez qu'on se retrouve bien avec une institution qui a pour but de propager certaines opinions. 

 Pour conclure, je vais m'intéresser à une phrase de Francis Ford Coppola, le réalisateur d'Apocalypse Now : ce dernier attendait avec impatience l'arrivée des caméscopes individuels, qui permettraient peut être un jour à une "petite grosse de l'Ohio de devenir la futur Mozart et de réaliser un chef d'oeuvre avec le camescope de son père" [6]. Rappelons-nous que nous voyons aujourd'hui un très grand nombre de vidéos d'amateurs, qu'il faut examiner avec précaution.

 Je pense que tout un chacun se trouve aujourd'hui avec un pouvoir incroyable entre les mains : celui de créer de l'image, qui, de par son essence même, jouit d'une véritable aura de légitimité. Chacun peut filmer ce qu'il veut ; mais n'oublions pas que cela veut dire cadrer ce qu'il veut ; donc ne montrer que ce qu'il veut. Gardons à l'esprit, face aux nombreuses vidéos et images que nous voyons tous les jours, que ceux qui produisent les images ne nous offrent pas des fragments de réalité mais des reflets de leur pensée. Car chaque image résulte d'un choix, et l'avènement d'internet ne signifie pas la fin de la propagande au cinéma. 

Sources

 Entre autres lectures, celles utilisées dans le cadre de l'article sont : 
 [1]  : Dagnaud Monique, « Le cinéma, instrument du soft power des nations », Géoéconomie, 3/2011 (n° 58), p. 21-30, https://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=GEOEC_058_0021
 [2] :
 
Alain Damasio, Sociétés de contrôle et cinéma, notes sur la conférence https://crep.strasbourg.free.fr/IMG/pdf/brochure-damasio-controleetcinema.pdf
 [3] : 
Frédéric Martel, Mainstream, (2010), Flammarion
 [4] :
David Hobb, Operation Hollywood, Arte, https://www.youtube.com/watch?v=FPZL5WTilRE
 [5] :
Robin Verner, La rhétorique des films de Daech est la même que celle d'Hollywood, Slate, https://www.slate.fr/story/123619/rhetorique-des-films-de-daech-est-la-meme-que-celle-dhollywood
 [6] : Henry Jenkins, Quentin Tarantino's Star Wars?: Digital Cinema, Media Convergence, and Participatory Culture, 2006 (https://ctcs482.com/wp-content/uploads/2015/08/Jenkins-Tarantino.pdf)

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