Albert Camus : Les Justes
Peut-on tuer pour une idée ?
L'auteur
Albert Camus est un philosophe, écrivain et journaliste français d'origine algérienne. D'après ses Carnets (1947), son œuvre devait s'articuler autour de cinq cycles : le premier traitait le sentiment de l'absurde, développé à travers L'étranger (1942), Le Mythe de Sisyphe (1941) et Caligula (1944), le deuxième justifiant alors la révolte, que l'on peut découvrir en lisant La Peste (1947), L'homme révolté (1951) et Les Justes (1950) ; le troisième, le jugement, avec Le Premier homme (1994, posthume). Malheureusement, Albert Camus est décédé prématurément dans un accident de voiture en 1960 et n'a donc pu terminer son oeuvre. Albert Camus a également écrit La chute (1956) et L'exil et le Royaume (1957).
Résumé
Les justes est une pièce dramatique en cinq actes, qui présente un groupe de terroristes à Moscou en 1905 avant, pendant et après un attentat. Dans cette pièce, Camus, pour qui le suicide est le "seul problème philosophique vraiment sérieux", essaie d'évaluer le poids d'une vie par rapport à la revendication d'une cause juste : peut-on tuer pour une idée ? peut-on (doit-on) mourir pour une idée ?
Les justes est une pièce assez sombre, puisqu'on assiste (indirectement) à la mort d'un des protagonistes et que celle des autres se profile assez explicitement. Camus explore un milieu intransigeant, représenté notamment par le personnage de Stepan : "Oui, je suis brutal. Mais pour moi, la haine n'est pas un jeu. Nous ne sommes pas là pour nous admirer. Nous sommes là pour réussir. "
La cause exprimée que par cette phrase : "Il faut tuer le despotisme". Il ne s'agit donc pas d'une revendication précise mais générale, qui perd à mes yeux une partie de sa crédibilité du fait de l'idéalisme qu'elle représente - jamais on ne renversera la loi du plus fort.
Les problèmes soulevés sont donc les suivants :
Peut-on tuer pour une idée ? Après tout, Dora nous dit que "Un homme est un homme". Malgré cela, l'attentat est commis ; l'attentat avorte une première fois, parce le grand duc est accompagné de ses deux enfants et que le terroriste n'a pas eu le coeur de jeter la bombe sur les enfants. Tuer est difficile et pose un réel problème moral pour les protagonistes (à l'exception de Stepan), mais ils s'y plient au nom de l'Idée et finissent par assassiner le grand duc : on peut donc tuer pour une idée si l'on ne se trompe pas (alors on est Juste ; sinon, on est un vulgaire criminel).
Peut-on mourir pour une idée ? Lorsque l'attentat est commis, Kaliayev, celui qui a lancé la bombe, se laisse emmener par la police - il ne cherche pas à fuir, ni à mourir dans l'accident. Il veut mourir deux fois, c'est à dire se faire juger pour ses crimes au nom de son Idée - preuve qu'il tue pour une cause, et non pas pour tuer.
Doit-on mourir pour une idée ? La pièce semblerait plutôt indiquer qu'il n'en est rien, puisque la situation politique ne semble en rien ébranlée par l'attentat dont nous avons été témoins. A la fin, un autre terroriste va aller tuer un autre aristocrate, perpétuant un cycle qui ne s'épuisera que lorsqu'il n'y aura plus de terroriste ou d'aristocrate en vie. Par ailleurs, notons cette très belle phrase de Doria : Si la seule solution est la mort, nous ne sommes pas sur la bonne voie. La bonne voie est celle qui mène à la vie.
Points positifs
Une pièce extrêmement intense, qui fait vivre des émotions fortes et invite à la réflexion sur une question épineuse. De plus, le rythme soutenu ne laisse pas une seconde place à l'ennui !
Point négatif
Les personnages incarnent tous un archétype du genre, et, s'ils remplissent leur rôle à merveille, manquent un peu de profondeur.
Citations
Peut-on parler de l'action terroriste sans y prendre part ?
Mourir pour l'idée, c'est la seule façon d'être à la hauteur de l'idée. C'est la justification.
Je sais maintenant qu'il n'y a pas de bonheur dans la haine.
Pour te pardonner tes crimes, ils t'en font commettre d'autres !