Robert M. Pirsig : Traité du zen et de l'entretien des motocyclettes
Un livre qui change la vie, à avoir lu et relu !
Présentation et résumé
Robert M. Pirsig est un écrivain américain né en 1928. Enfant surdoué, il étudie la biochimie à l'université à l'âge de 15 ans ; il part faire la guerre en Corée, période durant laquelle il s'intéresse à la philosophie Orientale ; à son retour, il fait une dépression nerveuse, est traité aux électrochocs et sa personnalité s'en trouve altérée. Il raconte ces expériences dans son premier livre, le Traité du zen et de l'entretien des motocyclettes (1974) ; en 1991, il en publie une suite, Lila : Enquête sur la morale, qui connaît moins de succès.
Le Traité du zen et de l'entretien des motocyclettes est un livre à mi-chemin entre le roman et l'essai. Très largement autobiographique, il raconte un voyage à moto qu'a fait Robert Pirsig avec son fils Chris, alors âgé de douze ans ; Pirsig profite des longues heures passées sur la route pour développer des réflexions sur la métaphysique de la Qualité, dont le but est de prouver que la Raison n'est pas la meilleure méthode pour appréhender le monde. (Consultez cet article pour plus de détails à propos de la métaphysique de la qualité).
Analyse
Durant tout le roman, Pirsig alterne entre des parties où il raconte les différents événements qui ont ponctué son voyage, et d'autres où il développe ses réflexions sous la forme de Chautauquas, des conférences destinées à éduquer les adultes en Amérique au début du 20ème siècle. Son but, à travers le roman, est clairement d'exposer ses réflexions philosophiques, qui sont extrêmement intéressantes mais ne seront pas le sujet premier de cette fiche. Cet enseignement est dispensé de manière très accessible, d'une part grâce à l'alternance des réflexions avec le récit, et aussi grâce à la clarté d'expression de Pirsig.
Ce sont ces questions métaphysiques qui ont conduit à la dépression nerveuse de Pirsig, et il nous raconte comment son ancien ''moi'' a suivi les routes dangereuses de la Qualité ; cet homme, Pirsig avant les électrochocs, est appelé Phèdre, en référence à un dialogue de Platon. Il s'agit d'ailleurs d'une erreur que Pirsig a signalé dans la préface d'une édition corrigée quelques années plus tard, car, contrairement à ce qu'il pensait, phaedrus ne signifie pas '' le loup '' mais '' brillant ''.
Vers la fin du récit, Phèdre revient d'ailleurs dans la narration, essayant de reprendre le dessus sur le narrateur ; heureusement, celui-ci parvient à garder un esprit sain, et le voyage se conclut de manière heureuse pour Pirsig comme pour son fils qui, lui aussi, présentait quelques symptômes de troubles mentaux.
Tout au long de ses réflexions, Pirsig donne des exemples concrets à ses idées en faisant le parallèle avec l'entretien d'une motocyclette - d'où le titre. Il fait en effet partie de ces personnes qui aiment prendre soin de leur matériel et qui préfèrent passer des heures à comprendre comment fonctionne le moteur plutôt que de remettre sa machine aux mains d'un mécanicien, et nous explique pourquoi. C'est une manière extrêmement habile, et réalisée avec une incroyable justesse, pour nous permettre de mieux assimiler ses réflexions.
Il s'agit, au fond, d'une question de Qualité, que l'on peut d'une manière assez sommaire associer à un état d'esprit de bouddhiste Zen - encore une fois, le titre n'est pas choisi au hasard. L'idée de Pirsig, outre le fait que la Raison n'est pas le seul mode de pensée qui existe est qu'il faut parvenir à un état de neutralité et de parfaite ouverture d'esprit, sans a priori sur une chose, pour pouvoir vivre en harmonie avec notre monde.
Il prend l'exemple de son ami John, avec qui il fait une partie du chemin, qui refuse de comprendre comment fonctionne une motocyclette et est réfractaire à toute sorte de technologie alors qu'il fait partie des personnes qui en dépendent le plus. Pour Pirsig, une telle attitude est insensée, d'autant plus que ceux qui en ont peut-être le moins besoin, qui vivent dans la campagne et travaillent aux champs, sont les plus aptes à réparer un moteur cassé.
Pour résumer très brièvement le développement philosophique, il est important de préciser que Pirsig a travaillé dans le domaine des sciences, ce qui rend légitime sa critique de l'esprit scientifique. Un jour, il s'est rendu compte que l'on ne pouvait pas définir précisément ce qu'est la qualité - il n'existe pas un ensemble de conditions qui, une fois vérifiée, font d'un objet un objet de qualité. A partir de là, il s'est rendu compte que la Raison ne se suffisait pas et qu'il fallait trouver un moyen de la dépasser ; il s'est tourné vers la philosophie Orientale, et s'en est inspiré pour élaborer une métaphysique de la Qualité, qui est quelque chose qui se sent et se vit, et transcende la dualité sujet/objet. Il s'approche beaucoup, en cela, du Tao de Lao Tseu.
Initialement refusé par 121 éditeurs, le Traité s'est vendu à plus de 5 millions d'exemplaires. Un succès difficile à assumer pour Pirsig, notamment en raison de sa fragilité mentale, mais aussi parce que quelques années après, son fils Chris s'est fait assassiner en sortant d'un temple bouddhiste et que leur relation, apparemment décrite de manière plus tumultueuse qu'elle ne l'était vraiment, est au centre du roman.
Souvent qualifié comme l'ouvrage philosophique le plus lu de son époque, le Traité du Zen et de l'entretien des motocyclettes est un livre incroyablement riche, qui nourrit une quantité fantastique de réflexions, exposées de manière claire et sans académisme. Guide de survie dans une époque que beaucoup ne comprennent pas, essai postmoderne ou simplement roman passionnant, il s'agit d'un livre dont la lecture nous grandit et change notre vision du monde.
Citations
L'important est de bien mener sa vie.
En réalité, vous ne travaillez jamais que sur une moto nommée vous-même.