Olivier Bleys : Discours d'un arbre sur la fragilité des hommes
Présentation et résumé
Olivier Bleys est un écrivain français né en 1970 ; il a déjà publié plus de vingt livres, dans des registres aussi différents que le roman, l'essai, le carnet de voyage ou encore la bande dessinée. Il a également occupé des postes au sien de sociétés d'éditions numériques, où il a été chef de projet et directeur éditorial ; il est aussi conférencier et consultant. Parmi ses romans, on retrouve par exemple Haut vol (2014) et Le maître de café (2013).
Discours d'un arbre sur la fragilité des hommes (août 2015) a remporté le Prix Goncourt des Lycéens. Prenant place en Chine, il raconte l'histoire d'une famille vivant dans une banlieue pauvre de l'ancienne ville industrielle de Shenyang, qui lutte au quotidien pour subsister ; leur rêve est de devenir propriétaires de la maison qu'ils habitent, mais c'est sans compter sur l'arrivée d'un projet minier qui prévoit de raser tout le quartier.
Analyse
Attention, quelques petites révélations sur la fin de l'histoire ; rien de bien méchant !
Wei Zhang a fort à faire pour assurer la survie de sa famille. Il vole du charbon pour fournir leur poêle, qui leur permet de se protéger de l'hiver glacial ; il touche le chômage, avec une sorte de fierté ; mais il a un projet de longue date : celui de racheter leur maison. Économisant sur des petites dépenses, il parvient au bout de longues années à réunir la somme et peut obtenir le titre de propriété... Qui laisse les siens parfaitement indifférents.
D'autant plus que, quelques jours après, la famille apprend qu'un projet minier va raser toute la zone. Wei retourne voir son propriétaire, mais celui-ci, un multi-millionnaire féroce, joue avec le pauvre Wei, comme un chat avec une souris.
Finalement, le projet minier est abandonné et la famille peut garder sa maison, désormais entourée d'un fossé de trente mètres dans toutes les directions (une 'maison clou').
Le Discours d'un arbre sur la fragilité des hommes aborde plusieurs thèmes relatifs à la Chine actuelle particulièrement intéressants : le décalage entre les plus pauvres, anciens mingongs, paysans chinois venus tenter leur chance en ville, et les plus riches, qui vivent dans un monde entièrement différent de celui de Wei. Alors que certains luttent encore pour trouver du charbon pour se chauffer, d'autres parient chaque jour des centaines de milliers de yuhans, soit plus que ce que vaut la maison de la famille Zhang.
On explore également le thème de la corruption, qui est malheureusement toujours d'actualité [note : malgré la féroce campagne que mène Xi Jinping, le secrétaire général du parti communiste chinois]. Ainsi, l'on apprend qu'il a fallu graisser des pâtes pour récupérer les cadavres des parents de Wei, qu'il faut payer un pourboire aux policiers si ceux-ci vous ont surpris après avoir sauté une barrière... Le fin mot de l'histoire, semble-t-il, est que tout s'achète dans cette Chine qui n'a plus grand chose de communiste ; l'essentiel des pérégrinations de Wei sont dues à un manque d'argent, et l'on peut apercevoir ce que cet argent permet, au travers du changement de statut de Cheng, ancien cheminot et ami de Wei, qui devient un cadre pour la compagnie minière.
Si l'histoire est très intéressante et assez captivante, j'ai personnellement buté sur le style. N'ayant pas lu d'autres livres d'Olivier Bleys (pour l'instant!), je ne peux établir clairement s'il s'agit d'un effet volontaire visant à donner un côté plus oriental au texte, ou si c'est juste un défaut d'écriture. Cependant, la formulation des phrases, la syntaxe et l'emploi des temps semblent souvent un peu hasardeux ; certains mots, même, ne semblent pas vraiment signifier ce qu'ils sont sensés vouloir dire. Si ce style particulier, ou cette lacune d'écriture, peut parfois étonner, il n'y a rien cependant qui empêche réellement la lecture du texte ; c'est, tout au plus, une gêne.
Autre défaut à noter : Wei Zhang est tantôt désigné comme 'Wei', tantôt comme 'monsieur Zhang' ; je trouve personnellement ces appellations plutôt maladroites, car Wei (le prénom) nous rapproche du personnage, tandis que 'monsieur Zhang' nous en éloigne beaucoup : c'est une désignation qui conviendrait mieux à un personnage secondaire. Aussi, mélanger les deux me semble peu habile.
Enfin, certains éléments de l'intrigue semblent arrangés pour convenir à l'histoire, et manquent un peu de réalisme : pourquoi la famille de Wei n'aurait pas manifesté son indifférence face à l'achat d'une maison avant ? Ils savaient tous ce qu'il allait faire de l'argent. Comment Wei parvient-il à s'en tirer, après avoir sauté du quatrième étage ? On ne sait pas, au final. Est-ce que des gens peuvent réellement se faire transporter dans une benne soulevée par une grue (comme le fait à la fin de l'histoire la délégation qui vient annoncer à Wei la fin des travaux) ?
Ce roman est réellement intéressant à lire. Il n'est pas spécialement chargé de poésie, mais c'est sans doute parce que la vie de ces chinois de banlieue pauvre n'a pas grand chose de poétique ; il est toutefois très beau, dans les intentions des personnages, montrant leur ambition de survivre face à un monde qui change trop vite et qu'ils ne comprennent plus. L'action est intéressante, même si certains éléments de la narration semblent irréalistes : c'est, en somme, une œuvre agréable, certes pas incontournable, mais à laquelle on pardonnera quelques défauts.
Citations
On était coutumiers, dans la famille, de vivre anonymes pour mourir ignorés.
Rappelle-toi, Wei, que les pauvres ne servent à rien ! Ils sont au mieux un zéro, au pire un décompte dans la grande équation de l'humanité !