Miguel de Palol : Le Jardin des Sept Crépuscules
L'auteur
Miquel de Palol est un poète, écrivain et architecte espagnol né en 1953. Il est l'auteur de plus d'une soixantaine de romans dont, malheureusement, le seul actuellement traduit en français est Le jardin des Sept Crépuscules (parution originale : 1989 ; en France : 2013, aux éditions Zulma).
Résumé
Le Jardin des Sept Crépuscules est un roman massif : en tout, 1125 pages, écrites pour le plaisir par un auteur catalan "convaincu qu'il sera le seul à les lire". Sa plus grande particularité est qu'il s'agit d'un roman multipliant les récits enchâssés : un narrateur raconte une histoire, dans laquelle un personnage narre une autre histoire, et ainsi de suite, allant jusqu'à combiner 9 histoires l'une dans l'autre !
Le récit qui sert de toile de fond - et qui justifie la réunion d'une dizaine de personnages parmi les plus importants de la haute aristocratie - est celui de la perte d'un joyau au pouvoir mystérieux, capable de provoquer la destruction du monde ; on comprend assez rapidement que ce joyau n'est qu'une métaphore, qu'il peut être tout autant des plans, un code, ou même ne pas exister.
L'ensemble forme un récit qui se lit étonnamment bien - malgré un court moment de flottement, vers le milieu du roman, quand on commence à se demander où tout cela va nous mener et qu'on n'en voit pas vraiment la justification. Mais on comprend finalement que toutes ces histoires sont habilement reliées les unes aux autres, qu'elles décrivent une toile de fond complexe et passionnante, mêlant enjeux de pouvoir et relations conflictuelles entre deux partis opposés. On se sent alors poussé par le désir de comprendre l'origine et le pouvoir du joyau, de découvrir l'identité du mystérieux personnage - nommé Ω - qui semble tirer les ficelles, et dont on nous dit à un moment qu'il fait partie du cercle de narrateurs.
Points positifs
Des récits extrêmement variés, qui visitent des genres et des mondes différents : du roman d'espionnage au faits divers, en passant par le roman d'amour, le roman d'aventure, et j'en passe.
Un livre extrêmement conséquent, qui laisse donc le temps de s'attacher aux personnages et au développement de l'intrigue - qui finit par être captivante une fois que l'on se l'est appropriée.
Entre les récits, les personnages se prêtent à des discussions philosophiques très intéressantes, et encore une fois sur des sujets très variés. Palol explique ainsi, entre deux histoires, que la démocratie est un système tout à fait similaire à la tyrannie puisque ce sont les mêmes élites qui sont au pouvoir, et que dans une tyrannie on ne peut pas parler mais dans une démocratie personne n'écoute ce que l'on dit. (voir citations !)
Points négatifs
Quelques longueurs déjà évoquées, avant que l'on commence réellement à percevoir l'intention de l'écrivain - nécessaires pour expliquer la confusion du narrateur, mais quelque peu éprouvantes pour le lecteur compte tenu des dimensions démesurées du roman.
Par ailleurs, on peut se sentir légèrement frustré que le personnage principal ne soit pas plus développé : on ne sait pas réellement qui est son père, quelles étaient ses relations avec sa mère, ni quelles étaient les conditions de son enfance - des éléments qui pourraient permettre de mieux comprendre l'histoire racontée.
Enfin, petite frustration personnelle, les deux dernières pages ne m'ont pas convaincu - et après un roman de plus de 1000 pages, être déçu par la fin, c'est contrariant.
A retenir
Un roman fleuve, qui fait intervenir de nombreux récits et de nombreux narrateurs, convoquant sans doute une centaine de personnages - au risque parfois de nous perdre quelque peu.
De plus, certaines de ces histoires semblent avoir inspiré des scénarios de films tels qu'Inception (dans un récit où le narrateur voyage à travers différents niveaux de rêves) ou Un jour sans fin (quand un des personnages revit, sans cesse, la même journée).
Citations
Si tu veux tirer profit de tes lectures, lis avec humilité, avec un coeur simple, avec foi, n'ambitionne jamais la renommée d'homme de lettres.
La démocratie, qui devrait stimuler l'élection, a fini par la ridiculiser. [...] Le seul avantage de la démocratie sur la dictature est que tu peux dire ce que tu penses - jusqu'à un certain point, bien sûr - sans qu'on te coupe le cou, mais cela revient au même, parce qu'elle a généré une telle indifférence collective que n'importe qui peut dire ses quatre vérités aux gouvernements sans que rien ne change. [Ceci à cause de la perte d'identité individuelle, noyée dans la conscience collective ; dès le début de la démocratie, c'étaient ceux qui avaient l'argent pour mener une campagne qui pouvaient se présenter ; p200-201].
En réalité ce sont toujours les mêmes qui sont au pouvoir, ceux qui auraient aussi bien été aux commandes dans une dictature qu'une monarchie absolue. [Ce n'est plus le gouvernant philosophe qui inculque au peuple ses idées, c'est l'homme d'affaires qui étudie les sondages pour promettre au peuple ce qu'il veut, sans jamais le satisfaire, bien sûr].
Ce qui peut arriver de pire à un auteur - et c'est fréquent - c'est qu'on croie qu'il plaisante alors qu'il est sérieux.