Michel Houellebecq : Soumission
Justifie-t-il toute l'agitation qu'il cause ?
L'auteur
Michel Houellebecq est un écrivain, poète et essayiste français né en 1956. Il est l'un des auteurs français contemporains les plus lus (en tout cas, les plus vendus) et les plus traduits dans le monde. Il expose à travers ses oeuvres la décadence de l'Occident, la misère sexuelle de l'homme moderne, et des idées à cause desquelles il est taxé d'islamophobie. Dans les faits, c'est surtout une figure très ambiguë, qui se refuse si obstinément à rentrer dans une case qu'on pourrait le penser vaguement nihiliste. Il a notamment écrit Les particules élémentaires (1998), La carte et le territoire (2010, Prix Goncourt) et Soumission (2012).
L'oeuvre
Soumission est un roman qui a beaucoup fait parler de lui (avant même d'avoir été publié, ce qui, à vrai dire, est plutôt mauvais signe en général). Le thème choisi n'est en effet pas anodin : Michel Houellebecq imagine une France, en 2022, dans laquelle le candidat d'un parti musulman (mais pas islamiste, la nuance est capitale) devient président de la République, triomphant au second tour contre Marine Le Pen. Son accession au pouvoir est rendue possible par une tension montante entre les communautés étrangères, et surtout arabes, et les extrêmes, qui en vient presque au stade d'une guerre civile que les médias refusent de traiter, laissant la plupart des citoyens dans une inquiétude qui va croissant.
François, le narrateur, est un universitaire spécialiste de l'écrivain Huysmans, qui poursuit sans grand intérêt une carrière universitaire relativement brillante. L'histoire raconte, sans grand suspens, comment il en vient à considérer une possible conversion à l'islam pour pouvoir retrouver son poste à la Sorbonne Paris III (la nuance est, là aussi, importante, il ne s'agit pas de Paris IV, "plus prestigieuse") et, confort non négligeable, se voir "fournir" une ou plusieurs femmes par les autorités musulmanes au pouvoir, dans l'idéal une relativement âgée pour s'occuper de la cuisine et une plus jeune pour s'occuper d'autre choses.
L'essentiel des débats critiques pointait sur la question de savoir si ce livre véhiculait une pensée islamophobe ou non ; une grande partie des arguments avancés contre Houellebecq l'avait été sans que l'auteur de la critique ait ouvert le livre, et je pense que, si la question peut être intéressante dans certains cas, c'est ici un peu un non-débat. L'islam présenté n'est en rien extrémiste ; Houellebecq montre une vision plutôt raisonnée de la manière dont il envisage que la France pourrait devenir un état islamique, menée par un homme ayant des intentions de paix et de prospérité. Bien sûr, les aspirations de cet homme sont totalitaires, dans la mesure où le jour où un candidat musulman, et même un candidat d'un parti musulman, atteindra le pouvoir, il n'imposera sans doute pas le port du voile ou la conversion à l'islam. Telle n'est pas la suggestion de Houellebecq, et je pense qu'il faut la prendre pour tel.
Ce qui m'a tout particulièrement frappé à la lecture de Soumission, outre le cynisme désarmant de l'auteur, c'est surtout sa franchise absolue, qui force l'admiration, je pense. Houellebecq se montre clairement à nu, et dit très vraisemblablement la vérité sans aucun artifice ; il parle sans complexe (mais avec un peu de complaisance, cependant) de sa misère, il expose assez simplement pourquoi il n'aime pas les gens, pourquoi il ne trouve plus tellement de goût à la vie. Ce sont des réflexions que beaucoup d'entre nous n'oseraient jamais écrire, encore moins s'autoriser à penser ; mais Houellebecq ne se voile pas la face, ne trouve pas de prétexte et d'excuse pour quoi que ce soit. Dans un sens, sa vision tient un peu du Camus et de Sartre (si l'on peut rapprocher ces deux penseurs sans qu'ils se retournent dans leur tombe), c'est à dire qu'il regarde la vie sans mauvaise foi mais la prend pour telle qu'elle est, absurde et sans aucun sens. Et à ce titre, Soumission est un roman passionnant.
Citations
Alice posait sur nous ce regard, à la fois affectueux et légèrement moqueur, des femmes qui suivent une conversation entre hommes, cette chose curieuse qui semble toujours hésiter entre la pédérastie et le duel.
Nietzsche avait vu juste, avec son flair de vieille pétasse, le christianisme était au fond une religion féminine.
C'est la soumission. [...] L'idée renversante et simple, jamais exprimée auparavant avec cette force, que le sommet du bonheur humain réside dans la soumission la plus absolue.