Jean-Philippe Jaworski : Gagner la guerre
Un de mes romans d'heroic fantasy favoris !
Présentation et résumé
Jean-Philippe Jaworski est un écrivain français né en 1969. Il est l'auteur de deux jeux de rôles (Te Deum et Le Tiers-Âge, ce dernier prenant place dans l'univers du Seigneur des Anneaux). Il a tout d'abord publié le recueil de nouvelles Janua Vera en 2007, puis Gagner la Guerre en 2009, dans un même univers appelé le Vieux Royaume. Par volonté personnelle, il a abandonné le Vieux Royaume pour visiter le monde des gaulois dans une série qui commence avec Même pas mort (2013).
Gagner la guerre est un roman écrit à la première personne dans lequel Jaworski prête sa plume à Don Benvenuto, assassin au service du podestat Leonide Ducatore, qu'il assiste dans sa conquête de la République de Ciudalia. Rempli d'humour noir et de cynisme, défiant les clichés au milieu desquels il fraie, Gagner la guerre est un excellent roman de fantasy qui apporte de la fraîcheur au genre.
Analyse
Indubitablement, Gagner la guerre reste fidèle à certains standards du genre, et se montre frileux par rapport à l'originalité de l'univers. Ciudalia est le pendant fantastique de la ville de Rome pendant la renaissance : noms italiens, goût prononcé pour l'art, mode vestimentaire et masques de théâtre sont autant d'éléments qui ne sauraient mentir. La République vient de remporter la guerre contre l'empire de Ressine, caractérisé par une forte culture mauresque. Lorsqu'il doit fuir la ville, Benvenuto se rend ensuite vers une nouvelle région, la Marche Franche, qui fait elle penser aux terres de l'Est telles qu'elles pouvaient être vues à l'époque : dangereuses, froides, arides, un bastion de choix pour vampires et loups garous (qu'on ne croise cependant pas dans Gagner la guerre, ceci dit).
Jaworski marche également dans les traces ô combien larges laissées par nombre de prédécesseurs dans le choix des populations qui constituent son univers : si les hommes constituent l'essentiel de la populace, on rencontre dans l'aventure trois Elfes et quelques nains : la sainte Trinité des races humanoïdes de la fantasy est ici réunie. Du côté du surnaturel, le Vieux Royaume est parcouru par quelques mages - trois d'entre eux jouent d'ailleurs un rôle prédominant dans le déroulement de l'aventure, d'une manière crédible et mystérieuse. Le fantastique est donc dosé à merveille, et l'univers, si on peut lui faire le reproche de ne pas être assez original, est toutefois très solide et semble continuer à fonctionner une fois que l'on a refermé le livre.
Don Benvenuto est l'homme providentiel de ce roman, celui qui lui fait dépasser le stade de bon récit d'aventures pour distinguer Gagner la guerre comme un très bon livre. Enfant des rues de Ciudalia, il a grandi parmi la plèbe et s'est ainsi initié aux coups fourrés, traquenards, jeux d'argents et filles de peu de vertu. C'est une des raisons pour laquelle, maintenant que le voici mêlé au milieu d'une aristocratie en lutte pour le pouvoir, la narration qu'offre Benvenuto est délicieuse, et c'est ici que Jean-Philippe Jaworski ouvre une nouvelle voie, délicieusement innovante.
En effet, Benvenuto est un personnage aussi attachant qu'antipathique ; s'il avait été l'ennemi du récit, on se serait pris à le détester. Il n'a pas de bons sentiments, aucune notion d'honneur et bafoue allègrement les codes de la chevalerie : sauver sa peau est déjà assez dur pour devoir en plus penser à celle des autres. Son langage, très empreint de jargon, donne lieu à de magnifiques contrastes entre un vocabulaire soutenu et familier (voir vulgaire), souvent dans la même phrase : « La meute qui clabaudait aux orées pouvait très bien sortir de chenils bellicistes. » Benvenuto s'adresse souvent son lecteur (voir première citation) et ose même le menacer à une occasion, donnant d'autant plus de crédibilité à son personnage.
Enfin, un dernier élément qui rend ce livre particulier : la guerre est déjà gagnée, ou presque, quand commence la narration. L'essentiel du roman consiste donc à voir comment les querelles entre les diverses maisons puissantes de la République, qui intriguent pour se voir attribuer plus de puissance, risquent de provoquer la défaite de Ciudalia.
J'ai personnellement ressenti quelques influences de jeux vidéos dans ce roman et, si je ne puis en être sûr, je pense que Jean-Philippe Jaworski a en effet été inspiré par l'univers du jeu de rôle. Les lames Acerini qui sont offertes à Benvenuto ressemblent au butin que l'on obtient à la fin d'un combat, les changements de location rappellent les différentes zones d'un jeu et, enfin, l'action dynamique et variée se prête tout particulièrement bien à celle d'un jeu de rôle.
Le style caustique, l'univers envoûtant et accueillant, l'histoire intrigante et surtout le héros brisant les conventions font de Gagner la guerre un excellent roman, et de Jean-Philippe Jaworski un auteur à suivre de près.
Citations
Et vous, oui, vous! mon très cher lecteur! Vous vous prélassez bien au chaud, sur votre coussiège favori ou dans la cathèdre de votre cabinet de lecture, en tournant d'une main indolente les pages de ce volume où je risque bien de perdre ma santé, ma vie, sans compter ma réputation.
La guerre doit payer la guerre : sans quoi, même le vainqueur en sort navré et à merci de ses ennemis restés hors du pré.
L'enfoiré ! Le putain de fils de pute d'enculé ! Après toute la soudure que j'avais déjà envoyée pour lui, me faire porter la médaille ! La charogne rupine ! Le marle crapoteux ! La croqueuse embourdillée !