Jean-Paul Sartre : Huis Clos
Présentation et résumé
Jean-Paul Sartre est un écrivain et philosophe français, né en 1905 et mort en 1980. Il est notamment connu pour avoir été le représentant du courant philosophique existentialiste. Ecrivain prolifique, il a publié de très nombreux textes dans divers les registres : son œuvre compte ainsi de célèbres pièces de théâtre - Huis clos, Les Mouches -, des romans - La nausée, L'être et le néant - et des essais - L'existentialisme est un humanisme, Les chemins de la liberté. Il a par ailleurs mené une activité politique, refusant par exemple le prix Nobel de littérature en 1964 et dirigeant le journal Libération.
Huis Clos (1944) est la pièce la plus connue de Sartre. Elle met en scène quatre personnages, dont un qui ne sert qu'à introduire le contexte et disparaît rapidement. Pièce en un acte, elle commence par quatre courtes scènes au cours desquelles on voit rentrer un par un les trois protagonistes, un homme et deux femmes, accompagnés par Le garçon, le quatrième personnage, qui disparaît ensuite. L'essentiel de la pièce se joue donc dans la cinquième scène, qui, comme nous allons le voir, peut être divisée en plusieurs moments.
Analyse
Les trois personnages se trouvent, on le comprend assez rapidement, en Enfer. Nul besoin de bain bouillant, de piques ni de flammes, l'Enfer de Sartre est une simple pièce décorée dans un style Second Empire, avec trois canapés et trois détenus qui ne se connaissent pas et sont destinés à passer l'éternité ensemble.
Dans un premier temps, les trois personnages font connaissance : d'abord Garcin avec Inès, puis Estelle est introduite. Ils commencent par un échange de bons procédés, de quelques compliments et de formules polies, comme trois personnes se rencontrant lors d'une soirée mondaine ; Inès, acerbe, met cependant rapidement fin à ces plates discussions. C'est elle qui insiste pour que chacun dévoile les actions qui expliquent leur présence ici ; mais Estelle et Garcin commencent à se présenter comme des victimes du sort, s'accablant de crimes largement pardonnables. Après avoir réalisé qu'ils étaient mis en présence les uns des autres afin de se faire du mal, Garcin leur propose une solution qui pourrait paraître raisonnable : qu'ils cessent tout contact, et passent l'éternité repliés sur eux-mêmes. Bien entend, cette proposition échoue rapidement et le dialogue continue entre les trois personnages.
On apprend ensuite la - véritable - raison de la présence de chacun en Enfer : Garcin battait sa femme, Inès a tiré du plomb dans l'aile d'un couple pour s'approprier la femme, et Estelle a tué l'enfant qu'elle avait eu avec son amant. Après cela, chacun a un dernier aperçu de la Terre, qui, bien entendu, le blesse grandement : Inès voit un couple racheter sa chambre et s'installer dedans ; Estelle voit son amant aller au dancing avec sa meilleure amie, et Garcin enfin voit ses collègues qui parlent de lui, sans parvenir à comprendre ce qu'ils pensent mais capable tout de même de discerner leur mépris.
Estelle et Garcin essaient ensuite de se rapprocher l'un de l'autre, mais Garcin n'y arrive pas à cause du regard d'Inès sur eux - Inès qui persifle et essaie, comme elle l'a déjà fait, de détruire le couple pour se rapprocher d'Estelle dont elle s'est éprise. Garcin, qui voulait trouver son salut à travers l'adoration d'Estelle pour se prouver qu'il n'est pas lâche, échoue ; Estelle se trouve sans homme à aimer, et Inès sans femme à aimer.
Ce résumé est important pour saisir l'essence de la pièce. Il faut savoir que Jean-Paul Sartre a connu également une expérience tragique lors d'un ménage à trois, avec Simone de Beauvoir et Olga Kosakiewicz, qui l'a rendu malheureux et a sans doute inspiré Huis Clos. Pendant l'entre-deux guerre notamment s'est développé un courant de pensée dialogique, qui voyait l'accomplissement d'une personne à travers l'Autre - l'homme ou la femme aimé(e). Sartre nous montre les failles de cette philosophie.
La célèbre phrase de Garcin, L'enfer c'est les Autres, mérite d'être expliquée. Il ne s'agit pas d'un trait de misanthropie à la Schopenhauer, simplement afin d'étaler son mépris pour les hommes ; il s'agit, pour Sartre, de montrer les complications que tout couple rencontre : nécessairement, deux personnes qui s'aiment, d'après lui, vont se tourner vers un tiers afin de se prouver à ses yeux. Cependant, le regard du troisième est généralement néfaste, soit rongé par la jalousie, soit simplement d'une honnêteté dont on n'a finalement pas besoin.
Deux personnes qui s'aiment, comme Garin et Estelle pendant un court moment de la pièce, ignorent les défauts l'un de l'autre : Estelle est prête à voir Garin en héros, malgré le fait qu'il soit vraisemblablement un lâche, et Garin est prêt à aimer Estelle alors qu'il n'aime, au fond, que lui-même et n'a pas vraiment d'attirance pour cette blonde qui semble un peu potiche. Ils sont prêts, cependant, à être tout l'un pour l'autre, à renoncer à leurs défauts, et s'ils n'avaient été que deux dans la cellule, auraient pu vivre l'éternité dans une béatitude amoureuse ; seulement Inès, qui les observe, leur rappelle la dure réalité. C'est une situation qui se retrouve fréquemment - ailleurs qu'en Enfer, j'entends -, et Sartre a ici voulu montrer l'impossibilité pour deux êtres de s'aimer dans le regard d'un troisième.
Par ailleurs, on comprend également que Garcin vit à travers le regard des autres - c'était d'ailleurs la raison pour laquelle il était prêt à aimer Estelle - quand, une fois la porte de la cellule miraculeusement ouverte, il s'arrête sur le seuil et ne veut pas en sortir. Pourquoi ? Parce qu'il ne peut supporter l'idée qu'Inès reste dans cette cellule, que quelqu'un reste quelque part, sachant qu'il est lâche et méprisable. Il ne lui reste plus à présent que l'éternité pour la convaincre qu'il est un Héros. Alors, comme il le dit en conclusion de la pièce : « Eh bien, continuons ».
Citations
Inès : Le bourreau, c'est chacun de nous pour les deux autres.
Garcin : Alors c'est ça l'enfer. Je n'aurai jamais cru... Vous vous rappelez : le soufre, le bûcher, le gril... Ah ! Quelle plaisanterie. Pas besoin de gril : l'enfer, c'est les Autres.
Garcin : S'ils m'avaient logé avec des hommes... Les hommes savent se taire.