Irvin Yalom : Le problème Spinoza

27/05/2015

Note : Vous lisez une fiche relativement ancienne, elle sera probablement moins riche que les critiques les plus récentes ! 

Présentation et résumé

Yrvin Yalom, né en 1931 à Washington, est professeur en psychiatrie, psychothérapeute et écrivain. Il est l'auteur de nombreux ouvrages qui traitent de psychothérapie, et n'a commencé à écrire des romans que dans les années 1990, avec Et Nietzche a pleuré en 1991, Mensonges sur le divan en 1996 ou La méthode Shopenhauer en 2005. Comme les titres le laissent supposer, la philosophie et la psychothérapie occupent une grande place dans son œuvre, une règle à laquelle Le Problème Spinoza (2012) n'échappe pas.

 Dans ce roman, Yrvin Yalom mêle deux époques et deux contextes qui semblent éloignés mais possèdent pourtant un lien décisif dans le déroulement des événements : d'une part, on suit le philosophe Baruch Spinoza au moment de son excommunication par la communauté juive d'Amsterdam, autour de 1656 ; d'autre part, on assiste à l'évolution d'Alfred Rosenberg, que l'on découvre jeune garçon et qui va devenir, au fil des chapitres, l'un des acteurs majeurs du parti Nazi, orchestrateur de la propagande et philosophe autoproclamé d'un parti profondément antisémite.

 Un roman habilement écrit, qui permet de découvrir la philosophie de Spinoza d'une manière agréable et aisée, et qui entraîne également son lot de réflexions.

Analyse

 Construit autour de deux récits différents, l'histoire du livre, n'étant pourtant pas le principal attrait du roman, a le mérite d'être assez captivante ; le développement en parallèle de ces deux histoires permet à Yrvin Yalom d'interrompre un récit dès qu'il devient trop ardu - après trop d'explications philosophiques - ou, également, lorsque l'action s'annonce ; on retrouve ainsi un certain nombre de cliff hangers qui donnent envie de poursuivre toujours plus loin dans l'ouvrage.

 La construction de chacun de ces récits est également assez habile : les personnages sont systématiquement en train de dialoguer, l'un expliquant à l'autre le fond de sa pensée. Ce procédé permet, une nouvelle fois, de faciliter la lecture tout en rendant le récit vivant, mais pas seulement : les difficultés philosophiques que soulèvent le discours d'un personnage, et qui nous interrogent, sont également des difficultés pour l'interlocuteur du personnage ; ainsi, ce dernier pose la question que le lecteur se pose, demande un éclaircissement bienvenu, et le protagoniste semble ainsi répondre à nos propres questions tout au long du récit.

 Il serait inexact de dire que ces deux récits se répondent : en effet, Spinoza influence Rosenberg, de par ses réflexions philosophiques et les idées qu'il développe auprès de nous et de ses interlocuteurs ; cependant, Rosenberg, lui, n'a aucune influence sur Spinoza. Ceci est parfaitement normal, considérant l'influence que les philosophes peuvent avoir sur nous aujourd'hui sans que nous n'en ayons aucune sur eux puisqu'ils sont morts depuis plusieurs siècles. Toutefois, nous pouvons voir dans le récit comment chacun est lui-même influencé, soit par un autre penseur qui deviendra le maître de Spinoza, soit par un ami d'enfance professeur en psychothérapie, qui nous enseigne, en même temps qu'il les exerce sur Rosenberg, quelques rudiments de psychothérapie.

 Ce récit est donc enrichissant sur tous les points ; bien qu'étant un ouvrage de banalisation, il permet de bien appréhender la pensée de Spinoza, ultrarationnaliste, qui voyait - à une époque où l'athéisme étant généralement considéré comme une hérésie - en Dieu non pas un être à notre image, mais plutôt une présence omniprésente, un tout autosuffisant que l'on associerait mieux à la Nature qu'à un vieil homme barbu ayant écrit la Torah, dont le Spinoza d'Irvin Yalom nous montre à un moment quelques contradictions flagrantes qui semblent prouver que Dieu n'est pas - directement - derrière les écritures saintes. (Quelques recherches me donnent à penser que cette forme de croyance s'appelle le panthéisme, sans que je puisse en être certain).

 Il nous montre comment ce juif excommunié en vient à ces conclusions, pourquoi il pense nécessaire de les énoncer et quelle devrait être selon lui la manière de conduire sa vie : aborder chacun des problèmes et les résoudre grâce à la raison, utiliser la raison pour dominer nos émotions, et vivre paisiblement - raisonnablement - en s'évitant de trop grands émois.

 L'érudition d'Irvin Yalom, et donc celle de son Spinoza, donnent envie de devenir à notre tour de grands érudits et de se plonger dans l'étude des livres et de la philosophie, ainsi que dans la psychothérapie, que l'on découvre ici à ses débuts mais qui semble déjà fascinante et redoutablement efficace. Cependant, le livre nous montre également les dangers de l'érudition à travers la personnage de Rosenberg : cet homme qui a manifestement un goût pour la philosophie et les grands penseurs allemands, plume du parti Nazi, ne retire visiblement rien du grand savoir qui est le sien, et ne comprend que ce qu'il choisit de comprendre des ouvrages philosophiques qu'il lit, prouvant ainsi que l'on peut être philosophe et parfaitement dénué de capacités de réflexion : c'est, à travers ce personnage, une belle leçon d'humilité que nous donne l'auteur, nous rappelant que la connaissance de nombreux penseurs et de leur pensée ne garantit pas une exactitude dans nos propres réflexions, et qu'un penseur érudit ne l'est vraiment que s'il comprend réellement le monde dans lequel il vit.

 Le seul reproche que j'aurai à faire à cet ouvrage remarquable et incroyablement soigné, à la fin duquel l'auteur prend même la peine de nous signaler ce qui est réel et ce qui est fictif, est le suivant : la forme de chacun des récits, qui progressent essentiellement sous forme de dialogues, bien que possédant de nombreuses qualités, a tendance à rendre les discussions bien trop rigides, trop formelles. On sent clairement que les personnages ont un texte à dire et qu'ils le déclament presque comme sur une scène de théâtre, ce qui fausse l'immersion dans le quotidien qui était par ailleurs permise par le récit.

 Mis à part ce petit défaut qui était peut être nécessaire à l'énonciation de telles pensées, Le Problème Spinoza est un ouvrage d'une grande qualité, qui se lit agréablement et se révèle extrêmement instructif.

Citations

Lorsque l'on ne parle pas de l'essentiel, rien d'autre ne peut être dit d'important.

La force d'une conviction est sans rapport avec sa véracité.

Votre emploi du mot déduction est incorrect. Le processus qui consiste à construire une conclusion rationnelle à partir d'une observation singulière, autrement dit à élaborer une théorie découlant d'une observation, est une induction ; la déduction part, quant à elle, d'une théorie a priori pour en décliner une suite de conclusions.


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