Irvin Yalom : La méthode Schopenhauer
Présentation et résumé
Irvin Yalom, né en 1931 à Washington, est professeur en psychiatrie, psychothérapeute et écrivain. Il est l'auteur de nombreux ouvrages qui traitent de psychothérapie ou de philosophie, et n'a commencé à écrire des romans que dans les années 1990, avec Et Nietzche a pleuré en 1991, Mensonges sur le divan en 1996 ou La méthode Shopenhauer en 2005 et Le problème Spinoza en 2012. Comme les titres le laissent supposer, la philosophie et la psychothérapie occupent une grande place dans son œuvre.
La méthode Schopenhauer est un roman qui raconte l'histoire de Julius Hertzfeld, psychothérapeute fictif, qui apprend à l'âge de 65 ans qu'il ne lui reste plus qu'un an à vivre. En quête de réconfort, il se tourne vers un de ses anciens patients qu'il avait suivis durant trois années vingt ans plus tôt, et qui reste dans son esprit comme l'un des échecs marquants de sa carrière. Ce dernier, depuis, a résolu ses problèmes en rencontrant un esprit brillant : celui d'Arthur Schopenhauer.
Analyse
Attention : l'analyse contient une révélation (mineure) à propos de la fin de l'histoire.
Le patient de Julius Hertzfeld, Philipp, s'est au cours des vingt dernières années beaucoup intéressé à la philosophie, ayant obtenu un doctorat ainsi qu'un poste de professeur de philosophie ; cet homme, dévoré par un appétit sexuel incroyable, a trouvé la rédemption grâce à trois illustres penseurs : Platon, Kant et Schopenhauer. Cependant cela n'a pas résolu son problème relationnel évident avec les autres êtres humains ; or il prétend devenir psychothérapeute comme Julius, aussi ce dernier l'invite-t-il à suivre une thérapie de groupe qu'il dirige.
Un des éléments marquants de ce roman est donc que l'auteur nous fait pénétrer au sein d'une thérapie de groupe : au fur et à mesure de l'intrigue, nous voyons évoluer des personnages plus ou moins attachants mais chacun avec une personnalité bien distincte, qui se livrent et font office d'exemple. On devine qu'à partir de ces cas fictifs, Irvin Yalom tenait à donner à son lecteur quelques notions basiques de psychothérapie, qui peuvent servir à tout un chacun durant sa vie.
Ainsi on apprend avec le cas de Tony, l'ouvrier manuel peu éduqué, qu'il ne faut pas avoir honte de son travail ni de sa condition. Bonnie, la bibliothécaire au physique peu avantageux, se dévalue à outrance, tandis que Rebecca, qui est trop belle, doit apprendre à ne pas se construire par rapport au regard des autres. Stuart sait que son entourage le trouve ennuyeux, et se trouve lui-même inintéressant ; c'est en fait car il est trop en retrait par rapport à sa vie, et qu'il n'ose pas assez s'ouvrir à ses proches. Gill, lui, trouve dans la psychothérapie un moyen de résoudre son problème de boisson qu'il a longtemps tenu secret. Pam apprend à pardonner à celui qui lui a fait tant de mal plusieurs années plus tôt : Philipp, qui, lui, en vient à considérer que la méthode Schopenhauer n'est peut-être plus appropriée à son cas.
En effet, le contrepoint original de roman est qu'au final, la pensée du philosophe, qui est fort bien expliquée à travers de nombreuses citations et quelques passages assez éducatifs - réalisés par le professeur en philosophie qu'est Philipp - est finalement rejetée, et qu'on en vient à la conclusion que si l'on peut trouver un état que certains jugent désirables en fuyant tout malheur, ce n'est pas ainsi que l'on vit et qu'il faut donc apprendre à souffrir par moments pour profiter de moments de plénitude.
La pensée ainsi que la vie de Schopenhauer sont bien résumées par Irvin Yalom : l'histoire principale est entrecoupée de la narration de la vie du penseur allemand, de ses déboires et de ses réflexions à propos des hommes, qu'il méprise et qu'il appelle les « bipèdes ».
La méthode Schopenhauer présente bien des similarités avec Le problème Spinoza, autre œuvre d'Irvin Yalom, de par le fond comme de par la forme. Il s'agit d'un roman dans lequel l'histoire est relativement secondaire mais reste très intéressante, et même parfois assez prenante, qui résume efficacement et de manière précise la pensée d'un grand philosophe. Le livre semble très documenté et on retrouve un très grand nombre d'extraits de Schopenhauer, ainsi que quelques extraits d'Epictète, un stoïcien grec.
Ainsi, les critiques que j'adresserai à ce roman sont presque les mêmes que celles que j'ai formulées à propos du Problème Spinoza : si la forme des dialogues permet de bien intégrer des concepts de philosophie et de psychothérapie, elle donne à certains moments une allure un peu niaise à la narration, quelques - rares - répliques semblant provenir d'un feuilleton de série B. Personnellement, j'ai également regretté que [attention : révélation!] la mort de Julius ne soit pas mieux écrite. Ce n'est pas sa brièveté que je critique, bien au contraire ; c'est plutôt son manque de percussion. Quelques mots en trop, une virgule mal placée, une phrase mal tournée, qui gâchent selon moi la saveur de la fin de l'histoire.
Rien de tout ceci, cependant, ne peut contester le fait que La méthode Schopenhauer est un excellent roman, prenant et éducatif, qui ne manquera pas de faire réfléchir le lecteur.
Citations
Vérifie si tes jugements objectifs ne sont pas en grande partie des jugements subjectifs cachés. [Citation de Schopenhauer jeune pour lui-même lorsqu'il serait plus vieux]
Le bonheur relatif provient de trois éléments : ce qu'on est, ce qu'on a et ce qu'on représente aux yeux des autres. [pensée de Schopenhauer, reformulée par Irvin Yalom]