Hubert Haddad : Le peintre d'éventail
Présentation et résumé
Hubert Haddad est un écrivain, poète et essayiste français d'origine tunisienne né en 1947. Il a grandi dans les banlieues populaires de Paris, expérience qu'il raconte dans Le camp du bandit mauresque (2005). Il a produit une très grande quantité d'œuvres et a reçu plusieurs prix littéraires, parmi lesquels le Grand Prix de littérature de la société des gens de lettres pour l'ensemble de son travail. Ses œuvres principales sont L'Univers (1999), décrit comme un « roman dictionnaire », Palestine (2009), et Le peintre d'éventails (2013).
Le peintre d'éventails est un court roman prenant place au Japon, qui met en scène trois personnages principaux : Hi-Han, le narrateur, Matabei, son maître, et Osaki, le maître de Matabei. À travers une succession de courts chapitres et de bonds dans le temps, Hubert Haddad livre à travers cette histoire une fresque rayonnante de délicatesse et de beauté.
Analyse
Quelques révélations sur la chute de l'histoire, attention !
Matabei était un peintre avant qu'il ne renverse une jeune fille au cours d'un accident de voiture ; depuis ce jour, sa vie a changé et il ne peint plus. Arrivé dans une pension familiale dans un coin reculé de la contrée d'Atôra, au Japon, il se trouve frappé par le charme du jardin, entretenu par un vieil occupant des lieux : Osaki. Ce dernier l'invite à boire un thé chez lui et Matabei découvre alors que le vieux jardinier met aussi ses talents esthétiques en application sur des éventails, peints avec légèreté et sensibilité, mettant souvent en scène des parties du jardin. Après la mort du vieux maître, il lui succède et prend sa place dans la vieille baraque à l'écart de la pension.
Matabei et son disciple Hi-Han s'éprennent tous deux d'une nouvelle arrivante, Enjo ; lorsque Hi-Han découvre son maître affairé avec cette dernière, il prend la fuite et part faire des études. Bien des années plus tard, un raz de marée - le tsunami du 11 Mars 2011 - dévaste la région et Hi-Han voit une photo de son vieux maître ; il part alors le retrouver et arrive chez lui la veille de sa mort pour discuter une dernière fois avec lui.
Le roman est écrit à la première personne dans deux chapitres : le premier et le dernier. Hi-Han se présente, explique le contexte puis se retire de la narration, pour ne revenir conclure qu'à la fin, expliquant que « [son] seul rôle, dans toute cette histoire, consiste à transmettre aux amateurs ces trésors irradiés ». Les trésors en question sont deux valises pleines d'éventails finement peints et sur lesquels sont inscrits des poèmes - des haïkus, courts poèmes japonais souvent très mystérieux.
Tous les chapitres sont très courts, en général de moins de cinq pages, et ne se suivent presque jamais directement. Il y a toujours une ellipse d'au moins quelques heures entre deux chapitres ; dans la première partie du livre, l'histoire ne suit d'ailleurs pas un fil chronologique, jonglant entre la vie de Matabei, son passé, et celle d'Osaki, ce qui peut parfois rendre la lecture quelque peu compliquée.
L'écriture de ce roman est simplement magnifique. Du début à la fin, Hubert Haddad dresse des tableaux de chaque scène, nous permettant de nous les représenter, avec une précision et une beauté rare. Tous les paysages sont décrits de telle sorte que l'on peut les voir, les vivre et les sentir ; les personnages étant initiés à la peinture, il place fréquemment dans ses descriptions des points de fuite que l'on peut parfaitement se représenter. Une dizaine de haïkus sont également à découvrir au travers des pages, chacun expliqués par le contexte narratif. Haddad a également su retransmettre l'atmosphère particulière à beaucoup d'oeuvres d'arts asiatiques, s'intéressant à rendre l'essence d'une scène plutôt qu'à la décrire platement ; il faut savoir qu'il n'a pourtant jamais été au Japon !
Le tsunami est décrit avec force et nous plonge dans un état de choc. Lorsque Matabei exhume les cadavres des résidents de la pension, on a l'impression qu'il s'agit d'un trépas salvateur qui contraste ironiquement avec leur vie : Monsieur Ho, le commerçant, est tout bouffi, l'air infiniment désolé, lui qui mangeait tant et plaisantait sans cesse ; si pudique et si réservée, la vieille fille Aé-cha se dévêtit une fois morte, nue jusqu'au bas ventre ; les deux amants, qui n'ont jamais pu être unis de leur vivant, sont retrouvés morts dans une ultime étreinte, et enfin la tenancière dame Hison, qui se voulait respectable mais avait été contrainte à se prostituer dans sa jeunesse, est impeccable dans son kimono de jour.
Si elle est intéressante, la chute de l'histoire a pourtant quelque chose d'étonnant d'un point de vue chronologique. Alerté par une photo parue dans un magasine, Hi-Han va voir son maître qui a enfin renoncé à chercher Enjo et a passé les derniers mois de sa vie à rénover les éventails de son maître détériorés par l'eau, et à essayer de restaurer le jardin qu'il avait entretenu depuis la mort d'Osaki. Lorsqu'il rentre à Tokyo, Hi-Han va voir sa nouvelle femme... Enjo ! Voici ce qui semble étonnant alors : dans quel temps est-elle venue ? On ne comprend pas très bien si Matabei est resté quelques semaines ou quelques années sur le site, mais cela n'a pas l'air d'être si long. Un détail qui reste à éclaircir.
Le peintre d'éventail n'en est pas moins un magnifique roman, sublime et passionnant, qui fait traverser une palette d'émotions et visiter de nombreux cadres sublimement décrits. Une lecture à faire, et un auteur qu'il faut découvrir !
Citations
Faire l'amour sauve au moins de l'amour.
La vieille paysanne trébucha à tout petits pas, façon se retenir de tomber à chacun.
Le long des ruisselets, des efflorescences de gel se pressent en bouquets. Le silence trouve son fil dans un chuchotis d'eau vive, à peine trois notes par le bec et l'embouchure d'un pipeau de glace.