Emmanuel Carrère : La moustache

18/09/2016

L'auteur

 Emmanuel Carrère est un écrivain, scénariste et journaliste français né en 1957. Il a publié de nombreux livres, dont une majorité de romans parmi lesquels on peut noter L'adversaire (2000) ou Le Royaume (2014), mais aussi quelques essais et des biographies, Je suis vivant et vous êtes mort (sur Philippe K. Dick, 1993) ou Limonov (2011). Ses romans ont souvent un lien avec lui, que ce soit dans l'identification des personnages ou bien simplement le mettant directement en scène. 

L'oeuvre

 La moustache (2005) est un court roman qui met en scène un narrateur nommé "il", auquel le lecteur peut facilement s'identifier - bien que son milieu social très bobo/petit bourgeois ne manque de rappeler la situation de Carrère lui-même. Sur un coup de tête, il décide un jour de se raser la moustache qu'il arbore fièrement depuis une dizaine d'années, pour faire rire sa femme (on pourrait dire qu'il s'agit d'une blague poilante) et surprendre ses amis. Mais sa blague tombe comme un cheveu dans la soupe (désolé), puisque personne ne semble remarquer et que ni sa femme ni ses amis ne lui font la moindre remarque quant à son soudain changement de pilosité faciale. Et lorsqu'il demande à sa femme s'il s'agit d'une plaisanterie qu'on lui joue, s'il est l'arroseur arrosé, sa femme lui répond, étonnée et inquiète, qu'il n'a jamais eu de moustache.

 Commence alors un long échafaudage de plus en plus complexe et de plus en plus inextricable d'hypothèses qui s'emmêlent les pinceaux, se font des croche-patte et finissent par conduire le narrateur au bord d'une panique sans nom. Est-ce qu'il devient réellement fou, ou est-ce que sa femme lui joue un tour avec l'habileté d'un maître ? Tout son monde s'écroule progressivement, les photos de son voyage à Java (derniers témoignages de sa pilosité) disparaissent puisqu'il n'est jamais allé à Java (à moins que ce ne soit sa femme qui les a cachées pour continuer la blague), les avis autour de lui se contredisent, son père, chez qui il était le dimanche précédent, est mort depuis un an...

 Je ne vous ferai pas l'affront de vous dévoiler la fin dont la découverte est, plus que jamais, cruciale au plaisir de lecture. En tout cas, La moustache est un roman de très grande qualité, une intrigue psychologique captivante, qui en devient presque écoeurante par moments, et ceux qui craindraient que 200 pages d'interrogation autour d'un détail (semble-t-il futile) seront sans aucun doute captivés par le rythme du livre, mené d'une main de maître.

 Bien écrit, bien construit, bien dirigé, La moustache est un roman émouvant, captivant et bouleversant, qui se dévore et qui vous ronge de l'intérieur, exploitant un des problèmes philosophiques les plus fondamentaux : nous ne sommes jamais en mesure de connaître quoi que ce soit avec certitude. C'est un roman qu'aurait pu écrire Philippe K. Dick, que cette question a travaillé toute sa vie - et ce n'est peut être pas un hasard, puisque Carrère est un grand lecteur de Dick dont il a écrit une biographie, Je suis vivant et vous êtes mort.

Citations

 En y réfléchissant dans l'eau qui refroidissait, il comprenait avec déplaisir ce qui l'avait le plus souvent troublé dans la scène de la veille, pour la première fois, Agnès avait introduit un des numéros de son cirque mondain dans leur sphère protégée. Pire encore, afin de lui donner plus de poids, elle avait exploité pour faire ce numéro le registre de voix, d'intonations, d'attitudes, réservé au domaine tabou où cessait en principe toute comédie.

Il gloussa nerveusement, saisi par l'appréhension classique du malade qui, dans l'antichambre du médecin, craint de voir disparaître les symptômes qu'il s'apprêtait à lui soumettre.
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