Dan Simmons : L'éveil d'Endymion
La fin sublime d'une fresque SF majestueuse
L'auteur
Dan Simmons est un écrivain américain né en 1948 et encore actif aujourd'hui. Il est célèbre pour ses romans de science-fiction (Olympos, les Cantos d'Hyperion), mais aussi de fantastique et d'horreur (Terreur). Une des particularités de ses livres est qu'ils sont généralement très documentés et l'histoire s'appuie - de plus ou moins loin - sur une base historique réelle. Par exemple, Olympos place une guerre de Troie rejouée dans le futur entre les mains du spectre de Shakespeare.
L'éveil d'Endymion est le quatrième épisode des Cantos d'Hyperion, c'est-à-dire qu'il suit Hyperion, La Chute d'Hyperion et Endymion. Dans un monde dirigé par une Eglise chrétienne dévoyée, Raul Endymion accompagne la jeune messie Enée, Celle qui Enseigne, dans sa mission pour provoquer la chute de la Pax.
L'oeuvre
Attention, il y aura des révélations sur la fin de l'histoire du cycle.
Puisque L'éveil d'Endymion arrive à la fin d'un cycle relativement conséquent, je vais supposer que vous avez l'histoire en tête et me permettrai de ne faire que vous rafraîchir la mémoire. Cet ultime volet vient donc clore les péripéties d'Enée et de son ami-amant Raul Endymion, chargé par le poète Martin Silenus d'aider la jeune fille à provoquer la chute de l'Eglise chrétienne, qui s'est assurée une hégémonie sur l'univers connu grâce à des cruciformes qui se fixent sur le corps des humains comme des parasites mais, en contrepartie, leur offrent la résurrection. Voilà pour le pitch.
Les des deux romans visent à clarifier le message d'Enée, resté très obscur jusque là, et à élucider un certain nombre de mystères qui titillent le lecteur depuis le début d'Hyperion : qu'est-ce que le Centre, cette forme évoluée des intelligences artificielles que nous connaissons ; que veut la Pax ; que veulent les extros ; que demande le peuple ; mais surtout, que veut Enée ?
Un des points irritants de la trame narrative est une contrainte que s'est imposée Dan Simmons en plaçant le récit entre les mains de Raul Endymion, qui reconnaît volontiers lui-même qu'il est généralement le dernier à comprendre ce qui se passe, et qui passe donc l'ensemble du récit à se plier aux exigences de son amie, qu'elle soit une petite fille (il la rencontre lorsqu'elle a douze ans) ou une jeune femme (l'histoire s'achève lorsqu'elle a une vingtaine d'années). Pendant l'essentiel du roman, le lecteur est donc en droit de se demander où il est mené ainsi, et trépigne de ne pas pouvoir voir plus loin que Raul. Cependant, c'est un pari risqué mais qui paie, puisque la résolution des mystères est d'autant plus percutante, une fois venu le temps des révélations.
Endymion tient donc l'ensemble des promesses qui ont été faites au cours du cycle, et elles étaient nombreuses. Pour rappel, voici un petit point sur les enseignements d'Enée. L'amour est la force qui régit l'Univers, et non pas les lois de Newton. Le Vide qui Lie pourrait grossièrement être décrit comme une autre dimension, qui nous entoure, que nous ne pouvons sentir mais dans laquelle les initiés - c'est à dire ceux qui ont reçu la communion d'Enée - peuvent pénétrer ; c'est plutôt l'essence du bouddhisme, ou bien encore le Tao. Pour y accéder, il y a quatre étapes majeures, qui semblent obscures à première vue mais s'éclairent : il faut entendre le langage des morts (c'est à dire entendre les voix du passé, le récit de la vie des êtres qui ont peuplé l'univers), le langage des vivants (même chose, pour les gens encore en vie), entendre la Musique des Sphères (entendre la résonance de l'amour des gens, c'est à dire percevoir l'accord émis par quelqu'un lorsqu'il a aimé un endroit à un moment) et faire le premier pas (en gros, atteindre un état méditatif intense, et oser se distranslater).
Cet accès à un monde régi par l'amour dans lequel tout le monde peut percevoir les sentiments de tout le monde, voir la vie de tout le monde, et aller n'importe où n'importe quand (ce qui est assez flippant, quand on y pense, je ne serai pas spécialement heureux de vivre dans l'utopie de Dan Simmons) est accordé grâce à la communion avec le sang d'Enée. L'ensemble de son aventure est en effet une sorte de parabole qui en fait le Jésus intergalactique du troisième millénaire, le tout de manière très cohérente ; la ressemblance va jusqu'à une mort brutale au travers une torture qui est particulièrement désagréable à lire, donc extrêmement réussie du point de vue de l'écriture.
Les idées développées dans le livre, et encore plus dans la série, sont beaucoup trop nombreuses pour que j'en résume ne serait-ce qu'un dixième ici. Que ce soit à propos du bouddhisme, de l'amour, de l'individualité, de l'humanité ou d'autres valeurs morales, les propositions sont systématiquement débattues par les personnages et la conclusion est généralement laissée relativement ouverte pour le lecteur.
Le tout se lit néanmoins comme un livre d'aventures extrêmement bien écrit, bien rodé, captivant, dans un univers qui prouve la prodigieuse imagination d'un auteur extrêmement talentueux, un univers que l'on a beaucoup de peine à quitter en tournant la dernière page tant les personnages sont attachants, les mondes invitants et l'ensemble agréable à lire. Dans ce cycle de roman, Dan Simmons nous apprend beaucoup de choses : tout d'abord, qu'il faut aimer, d'un coeur simple et sans se poser de question ; qu'il faut en revanche savoir réfléchir sur les choix que nous avons fait (pensons aux mots d'Enée : Refaites vos choix) ; surtout, je pense, surtout, Dan Simmons nous rappelle dans Hyperion et Endymion que lire des romans peut nous faire vivre des moments purement magiques.
Citations
(Je me permets de faire remarquer ici que la traduction proposée par l'édition Pocket n'est franchement pas terrible : outre les nombreuses coquilles, un certain nombre de formules maladroites ne font pas honneur à la fluidité que l'on retrouve chez l'auteur en langue originale).
Contrairement aux moines qui peinent pour atteindre l'éveil, je n'ai aucun désir ardent de dépasser mon individualité. Le monde, tous les mondes que j'ai eu le privilège de voir et de traverser, voilà ce qui me fascine et me ravit.
En tant que poète, il y avait des siècles qu'il entendait le langage des morts et des vivants. [Puis, dans la bouche du poète Martin Silenus] : Vous n'êtes pas seulement idiot, mon garçon. Vous êtes incapable de vous en sortir. Le Vide, qu'est-ce que c'est à votre avis ? C'est la putain d'infosphère de ce putain d'univers, fiston. Je l'ai écouté pendant des siècles [...]. C'est ce que font les écrivains, les artistes et les créateurs, mon garçon. Ecouter le vide et essayer d'entendre les pensées des morts. Sentir leur souffrance. La douleur des vivants, aussi.