Albert Camus : L'état de siège
L'auteur
Albert Camus est un philosophe, écrivain et journaliste français d'origine algérienne. D'après ses Carnets (1947), son œuvre devait s'articuler autour de cinq cycles : le premier traitait le sentiment de l'absurde, développé à travers L'étranger (1942), Le Mythe de Sisyphe (1941) et Caligula (1944), le deuxième justifiant alors la révolte, que l'on peut découvrir en lisant La Peste (1947), L'homme révolté (1951) et Les Justes (1950) ; le troisième, le jugement, avec Le Premier homme (1994, posthume). Malheureusement, Albert Camus est décédé prématurément dans un accident de voiture en 1960 et n'a donc pu terminer son oeuvre. Albert Camus a également écrit La chute (1956) et L'exil et le Royaume (1957).
Résumé
L'Etat de siège est une pièce de théâtre représentée pour la première fois en 1948, très peu de temps après la Seconde Guerre Mondiale, décrite comme un Spectacle en trois parties - j'aurai tendance à la considérer comme un drame. Elle présente la ville de Cadix, dans une époque indéfinie, en proie à un fléau qui se déclare subitement : la Peste, ici incarnée par un personnage s'appelant, en toute simplicité, La Peste.
Avant de rentrer dans les détails du commentaire, il est indispensable de rappeler que la peste, chez Camus - dans son roman publié en 1947 comme dans cette pièce de théâtre - est une allégorie du totalitarisme ; ainsi, dans le roman La Peste, Oran n'est pas aux prises avec une épidémie mais avec une métaphore du nazisme ; de même, dans cette pièce, les causes et conséquences de l'arrivée de la Peste sont très clairement les mêmes que celles du totalitarisme qui venait alors d'ébranler l'Europe.
L'essentiel de la pièce se consacre donc à montrer comment un régime totalitaire s'impose, mais aussi - et surtout, puisque Camus était un amoureux des hommes -, comment un groupe d'individus peut résister.
Une critique que l'on pourrait adresser à la pièce est que la métaphore va trop loin dans le plagiat des faits réels. Si dans le roman, on pouvait avoir quelques réserves, ou, du moins, ne pas voir exactement les tenant et les aboutissants du fléau, le doute n'est plus permis dans l'Etat de siège. Le gouverneur de Cadix laisse au personnage de La Peste le contrôle de la ville, afin de protéger ses citoyens - de la même manière que Pétain a abdiqué pour ne pas causer de bain de sang : Dans votre intérêt même, il convient peut être que je laisse l'autorité de la ville à cette puissance qui vient de s'y manifester, dit-il avant de s'enfuir (comme Pétain) car L'Etat, c'est lui, et il faut protéger l'Etat.
Ensuite, la nouvelle autorité impose des lois qui ne peuvent manquer d'évoquer celles des nazis : port d'une étoile noire pour les pestiférés, rationnement, couvre feu, interdiction d'aider les pestiférés et enfin censure.
Le peuple de Cadix parviendra cependant à retrouver sa liberté grâce à Diego qui, révulsé contre les agissements de la Peste et de sa secrétaire - la Mort -, finit par "comprendre" : il comprend que s'il surmonte sa peur et se révolte (voir citations), il devient le plus fort et est hors d'atteinte des attaques de la Peste.
Lorsqu'enfin part la Peste et que revient la paix, le cynique du village décrit fort habilement tous les collaborateurs - indirects pour la plupart d'entre eux - qui par leur inaction ont permis les événements tragiques : Les anciens arrivent, ceux d'avant, ceux de toujours, les pétrifiés, les rassurants, les confortables, les culs de sac, les bien léchés, la tradition enfin, assise, prospère, rasée de frais.
A retenir
Une pièce magnifique et bouleversante, extrêmement forte et évocatrice, qui parvient à dénoncer une réalité historique grâce à la fiction d'une manière encore plus talentueuse qu'Orwell dans sa Ferme des animaux.
La mise en scène, extrêmement détaillée, mérite probablement que l'on assiste à une représentation de la pièce - ce que je n'ai pas encore eu la chance de faire !
Si la critique a beaucoup descendu la pièce de Camus, c'est à mon avis parce qu'elle s'attendait à retrouver une adaptation du roman, ce qui est très loin d'être le cas. Je trouve personnellement que c'est tant mieux et que la pièce est d'une grande qualité, bien plus à même d'être représentée que ne pourrait l'être une adaptation de La Peste.
L'Etat de siège est donc, pour moi, une excellente pièce ; cela ne m'étonne pas que ce soit un texte que Camus juge être "un des écrits qui [lui] ressemble le plus".
Citations
Vous leur avez donné la douleur de la faim et des séparations pour les distraire de leur révolte.